C’était en février. J’avais en ligne de mire les Galtee Mountains pour aller y randonner. Mais je ne m’octroierais pas ces quelques jours de randonnée dans le Sud-Ouest de l’Irlande sous n’importe quelle condition. Non. Je n’irais seulement, et seulement si, les prévisions météos étaient à la neige. Chasseuse de monts enneigés en Irlande je suis, depuis bien des années. Mon emploi du temps ne concorde pas toujours avec la neige qui tombe épisodiquement chaque hiver en Irlande, mais dès que je peux, j’aime à profiter des montagnes irlandaises dans ces conditions. Finalement, les planètes s’étaient alignées, « risque » de neige dans les jours à venir du côté des Galtee Mountains : mon emploi du temps me permettait de partir 4 jours, soit à minima 2 jours pleins à randonner dans ce massif montagneux à cheval entre les comtés de Limerick et de Tipperary. Aucune certitude d’y trouver de la neige, mais je décidai de tenter ma chance !
Début de vadrouille dans les Galtee Mountains
J’avais passé la première journée dans les Galtee Mountains à randonner quelques heures jusqu’au Lac Curra, depuis Glengarra Woods. Point de neige ce jour-là, ni tombée, ni en prévision. Partie sous le ciel bleu, j’étais progressivement montée à travers la brande et les moutons qui y paissaient jusqu’à aller chatouiller les nuages. Ce jour-là, Lac Corra, du haut de ses 570m d’altitude, était quant à lui complètement lové dans les nuages et par moment, on ne voyait pas à 10 mètres ! Si la météo avait été favorable, du Lac Corra, j’aurais pu retourner un peu sur mes pas puis continuer à grimper jusqu’à Galtymore, mais sans visibilité, c’était trop dangereux (sachant que c’était déjà très boueux et glissant au niveau où j’étais). Heureusement, le reste du parcours m’avait offert de somptueux paysages, des moutons flippés sur le chemin, et même un arc-en-ciel !
Le lendemain, je me levai sous le ciel bleu à nouveau. Mais les températures négatives de la campagne de Tipperary où je me trouvais, ainsi que le radar météo, m’annonçaient de belles chances de trouver de la neige sur les sommets des Galtee Mountains. Je décidai d’aller chercher le sommet de Galtymore et ses presque 920 mètres, le point culminant des Galtee Mountains mais aussi des comtés de Tipperary et de Limerick, le sommet se trouvant à cheval entre ces deux comtés. S’il devait y avoir de la neige quelque part dans les environs, c’était forcémnt là. Je n’y étais encore jamais montée, ce serait une première pour moi, et je m’en réjouissais !
Randonnée dans les Galtee Mountains : jusqu’au sommet de Galtymore
J’étais partie à 8h30 du petit parking entouré de pâtures, là où se finit la Black Road et où ma voiture était seule à occuper l’une des 4 places dédiées : en semaine, un matin de février, rien de surprenant. Ciel bleu au-dessus de ma tête à cet instant, mais plus haut, les sommets des Galtee Mountains, dont Galtymore, disparaissaient totalement derrière d’épais nuages opaques qui ne présageaient rien de bon. Je partais donc avec mon état d’esprit habituel quand je randonne en Irlande :
flexibilité et adaptabilité, ce qui sera pris sera pris, et on verra au fur et à mesure de la grimpette ce que les dieux du ciel irlandais nous autorisent à faire ou à ne pas faire.
J’ouvre puis referme la barrière indiquant qu’on entre sur des terrains (privés) où les moutons sont en liberté. Une pancarte triangulaire accrochée à la barrière indique « Attention, moutons en pâture. Les chiens seront abattus si non tenus en laisse ! » (sur la rando de la veille, les chiens étaient interdits).
Sans surprise, le chemin de terre et de cailloux monte tout de suite, et l’ascencion sera continue, mais plutôt douce, jusqu’au sommet de Galtymore. Le parking étant à 300 mètres d’altitude, le sommet à 920 mètres, et environ 5,5 kilomètres entre ces deux points, rien de bien méchant en terme de terrain et ce devrait être une randonnée plutôt facile de ce point de vue là. C’est d’ailleurs l’une des particularités des Galtee Mountains : des pentes douces, des vallées luxuriantes, des ruisseaux (nombreux !), et des paysages de petites montagnes ouvertes. Sans surprise, les moutons flippés sont partout autour de moi en ce début de randonnée. Pour la plupart, ils partent en courant à mesure que je m’approche d’eux. Je ne cherche jamais à les effrayer bien entendu, encore moins à les caresser (impossible de toute manière), mais s’ils sont sur le sentier que j’emprunte, je suis bien obligée de m’approcher d’eux si je veux avancer ! Je sais bien que c’est moi l’invitée dans cette histoire, je les respecte eux et la terre que je foule autant que je peux, mais le temps d’un instant, voilà, je m’incruste dans leur carte postale.
Plus haut, au pied de Cnoc Riach, je découvrirai une plaque commémorative : les 3 fondateurs de l’aéroclub de Longford ont perdu la vie dans un crash d’avion dans ces montagnes en 1976. Des plaques comme ceci, rappelant des crash d’avions, en Irlande, je crois en avoir vu dans tous les massifs montagneux où je suis allée. Comme un triste rappel des conditions qu’on peut avoir dans nos « petites » montagnes irlandaises.
Jusqu’à ce point, derrière moi et vers l’Ouest, je profitais encore de la vue dégagée sur la vallée et le comté du Kerry au loin, des paysages aux verts et roux innondés de soleil. Mais devant moi, je ne voyais qu’une chose, ou du moins, je ne voyais rien. Un ciel opaque et apocalyptique venait gober toute terre qui osait dépasser les 600 mètres d’altitude.
A partir de là, les conditions météo ont commencé à changer, le ciel à s’assombrir. D’ailleurs, si j’avais gardé mes lunettes de soleil sur le nez jusqu’à présent, il était temps de les échanger contre mes lunettes de vue. Je fouille dans mon sac à dos. Sotte de moi ! J’ai laissé mon étuis et son contenu dans la voiture ! Bon, en bonne miope que je suis, je garderai mes lunettes de soleil sur le nez, puisque celles-ci sont adaptées à ma vue, et que sans ces protèses visuelles, ce serait vraiment très risqué pour moi de continuer, à moins de vouloir m’assurer une entorse, une chutte, ou autre mésaventure. Parce qu’avec les nuages, en progressant dans cette randonnée, vient le changement de terrain : je suis désormais sur du terrain marécageux, de montagne irlandaise, sans réel sente ou sentier, des passages de moutons tout au plus. Rien est fléché non plus, comme souvent quand on randonne en Irlande.
Et puis, rapidement, ça se corse carrément : je n’ai plus aucune visibilité, le vent est vraiment fort (et froid !), et je suis dans la purée de pois ! Tout ça avec des lunettes de soleil, que je soulevais de temps en temps pour essayer d’y voir un peu plus clair. Je passe le sommet de Galtybeg (800m) dans des conditions franchement mauvaises, puis un court plateau où j’ai l’impression d’être une liliputienne au milieu des géantes mottes cylindriques tourbeuses qu’on retrouve assez souvent dans les montagnes irlandaises. A ce stade, givre et stalactiques viennent s’incruster dans l’environnement dans lequel j’évolue. Et ce vent, qui pique, qui transperce, qui fouette ! Je passe entre deux de ces mottes naturelles de tourbe et soudainement, je me retrouve en haut d’un précipice ! Un précipice que je devine, puisque le sol s’arrête net devant moi, mais je suis bien incapable d’évaluer la hauteur du vide à mes pieds tant le mur de nuages dans lequel je me trouve est opaque. La sente continue sur la gauche le long de cette pseudo crête, mais dans de telles conditions, c’est vraiment trop dangereux de s’y aventurer. Je décide de m’abriter du vent derrière une motte de tourbe. Ma carte m’indique qu’au pied du précipice, c’est le Lough Diheen, près de 200 mètres en contrebas. En réalité, je suis en haut d’un cirque, de ceux dont on trouve beaucoup dans les montagnes irlandaises, amphithéatres naturels ouverts vers le Nord enveloppant des lacs en contrebas et formés lors de l’errosion glaciaire, il y a quelques millions d’années.
Avec une bonne visibilité, ce passage vers la gauche, sur une crête qui mène au sommet de Galtymore ne présente pas vraiment de difficulté, le sol étant plat sur une largeur d’environs une dizaine de mètres (la pente est également très raide de l’autre côté, vers la vallée côté Sud). Je décide d’attendre un peu, avec un peu de chance, les nuages vont se lever et la visibilité va revenir. C’est le cas, et une dizaine de minutes plus tard, je peux enfin voir où je mets les pieds. Le vent souffle toujours fort, mais je m’engage. Le passage délicat passé, je me retrouve sur un plateau et bientôt, je l’aperçois dans la brume nuageuse : la croix marquant le sommet de Galtymore ! Elle est blanche cette croix celtique métallique, elle aurait pu etre peinte en une couleur plus visible, parce que là, c’est un peu ton sur ton avec l’épaisse brume qui l’entoure !
Ah ! J’ai oublié de préciser ! Là-haut, le givre s’est transformé en neige, le sommet de Galtymore a reçu ses premiers flocons probablement peu de temps avant mon arrivée. Les flaques d’eau sont quant à elle bien glacées et la calotte rocheuse qui recouvre le sommet est assez glissante.
Je suis à nouveau reprise dans un épais brouillard, je ne vois pas à 10 mètres. C’est un peu flippant quand même, cette atmosphère là-haut. Je décide de ne même pas pousser plus loin en direction du Lac Corra, parce que je me retrouverais là aussi en haut d’un cirque, et ma carte m’indique que la crête, là-bas, est autrement plus étroite que celle par laquelle je suis arrivée. Pis avec ces conditions, aucune chance d’apercevoir le lac en contrebas de toute manière. Je ne m’éternise pas trop et je redescends par là où je suis arrivée, ce qui est l’itinéraire pour cette randonnée qui fait l’aller-retour entre le parking et le sommet de Galtymore.
Et puis, comme une faveure, les nuages se lèvent alors que j’entamme la redescente et je peux enfin avoir un aperçu plongeant sur Lough Diheen et les monts et le paysage qui s’étale au loin, jusqu’à l’horizon ! Merci Dieux du ciel irlandais pour cet interlude ! J’aurais également la clémence du ciel pour traverser le plateau jusqu’à Galtybeg, et au-delà encore : je découvre des paysages roux et moutoneux ouverts sur la valllée et que je n’avais pas vus lors de la montée.
Moi qui pensais redescendre tranquillement, raté : c’est quand je commence à récupérer le chemin caillouteux, vers 700mètres d’altitude, que la neige se met à tomber ! Avec ce vent d’Ouest maintenant très fort ici aussi qui vient gifler mon profil droit, rien d’agréable sur ce passage-là et j’accélère un peu le pas (il fait super froid, toujours, évidemment !). Et puis, à force de descendre, soudain, j’ai eu l’impression de passer dans un monde parallèle, d’avoir passé la Porte des étoiles, parce que sans transition aucune, je me suis retrouvée sous un ciel bleu éclatant… et j’étais bien contente d’avoir mes lunettes de soleil sur le nez !
J’ai pris le temps d’admirer les superbes vues qui occupaient les 180 degrés de mon champ de vision sur les 2 derniers kilomètres, et je rejoignai la voiture, toujours seule sur son parking, en me retournant vers un bel arc-en-ciel. Il était 13h, et je n’avais croisé personne durant cette petite randonnée de quelques heures. J’aime !
Bon à savoir
Les Galtee Mountains offrent de très jolis paysages avec quelques cirques et lacs, mais présentent des terrains souvent humides et boueux dans leur ensemble. Les sommets sont souvent pris dans les nuages, quelle que soit la saison.
Carte, notions et sens de l’orientation nécessaires pour cette randonnée jusqu’à Galtymore, ainsi que tout l’équipement nécessaire aux conditions météorologiques extrêmes. Il est impératif de consulter les dernières données météo officielles avant d’envisager s’engager sur cette randonnée.
La carte Galtee au 1:25000 des éditions East West Mapping est celle que j’ai utilisée pour cette randonnée. Le parking de départ y est indiqué. Cette carte peut se trouver dans toute bonne librairie irlandaise (grandes villes et moitié Sud de l’Irlande), ou en ligne auprès de l’éditeur.
J’espère que ce nouveau récit de randonnée vous a plu. J’avais juste envie de partager ce que peut être une randonnée en Irlande en hiver (voir aussi mon récit d’un bivouac de Noël dans les Monts Wicklow), et aussi et surtout, de vous faire découvrir les Galtee Mountains dont je n’avais encore jamais parlé sur le blog, ces petites montagnes absentes des guides et circuits touristiques habituels (mais elles sont sur l’Instagram Raconte-moi l’Irlande 😉 ). Je le répète souvent : la petite île d’Irlande est vaste, et ses trésors nombreux !
Toujours de splendides paysages. J’espère qu’un jour j’aurai la possibilité de venir en Irlande et je serais ravi de te prendre pour guide.
Avec plaisir 🙂
Très beaux paysages ! Moi aussi j’espère venir dans ce cher pays et te rencontrer Aurélie !
🙂