C’est dans le cadre de mon projet de Tour d’Irlande en 32 interviews, de 32 Irlandais, des 32 comtés d’Irlande que je suis allée à la rencontre de Paulie, musicien à Mullingar, dans le comté de Westmeath, d’où il est originaire.
Mullingar, dans le comté de Westmeath
Il faisait super beau quand Paulie est venu m’accueillir à la sortie de la gare de Mullingar, à 1h20 de train au Nord-Ouest de Dublin. C’était une belle journée printanière, alors j’étais ravie quand il m’a proposé d’aller faire l’interview dans un parc de Mullingar.
– J’aurais aimé avoir une salle à l’hôtel, mais il y avait un mariage aujourd’hui. Ça te dit, si on va au Belvedere à la place ? C’est un chouette endroit, où je vais souvent promener mon chien.
Le Belvedere de Mullingar est une ancienne demeure aristocratique, un parc et des jardins dans lesquels son fondateur, un comte, a fait construire quelques folies au 18ème siècle, des ruines ornementales dont le Jealous Wall, « fausse » ruine d’une abbaye qui le séparait de la vue de la demeure de son frère… Dont il était jaloux. 😉
Mullingar est un town de 21 000 habitants de l’intérieur des terres irlandaises, situé dans le comté de Westmeath. En Irlande, Westmeath est communément appelé « The lakelands of Ireland”, la région des lacs irlandaise. Dans le comté de Westmeath, c’est plus de 8 900 hectares qui sont recouverts d’eau douce, pas loin de la superficie d’une ville comme Paris.
C’est d’ailleurs au bord de l’un de ses lacs que se situe le parc et les jardins privés du Belvedere de Mullingar, sur les rives du Lough Ennell, l’un des plus grands lacs du comté de Westmeath. Un peu plus loin se trouve un plongeoir qui s’avance dans le lac, afin que tout le monde puisse profiter des eaux claires du lac quand arrive les beaux jours. Paulie me montrera un coin de verdure au loin, sur les rives du lac : le terrain d’un ami où ils se retrouvent parfois, l’été, entre copains, pour camper et faire des barbecues.
En route vers le Belvedere, on s’arrêtera chez Paulie prendre Arlo, le chien, et il en profitera pour le promener pendant notre balade.
Paulie, musicien originaire de Mullingar
J’avais demandé à Paulie de prendre sa guitare aussi, bien sûr, parce que je savais que c’était son instrument.
Ce qui m’intéressait en rencontrant Paulie, c’était de rencontrer un jeune musicien local irlandais, d’écouter ce qu’il avait à dire sur la musique en Irlande, dans les pubs et de manière générale. Mais aussi sur sa musique à lui, où il en jouait (avant notre rencontre, je savais simplement qu’il jouait dans les pubs de Mullingar), d’avoir son avis sur comment c’était perçu et considéré en Irlande, s’il en vivait pleinement, surtout depuis la pandémie du COVID-19 qui a décimé le secteur de la musique.
Paulie a grandi à Dublin, où il est né en 1989, et c’est à l’âge de 13 ans qu’il a suivi la famille pour déménager à Mullingar, le town natal de son père qui y a encore toute sa famille. Alors, malgré son accent dublinois dont il ne s’est jamais défait, Paulie se sent avant tout de Mullingar. Les Irlandais sont généralement très régionalistes (comtéistes ?) alors je ne suis pas vraiment surprise quand Paulie me dit que parfois, lors de ses concerts à Mullingar, des gens qui ne le connaissent pas viennent le voir en le pensant Dublinois par son accent, « You’re a Dub ! », et en lui demandant ce qu’il fait par ici. Il s’amuse de leur répondre en leur disant que son père est de Mullingar, alors ils lui demandent son nom de famille et quand Paulie leur répond, tout rentre dans l’ordre, car la famille est assez connue des locaux.
– Une fois passé l’accent et qu’ils comprennent que je suis vraiment de Mullingar, c’est bon, conclut-il avec un sourire aux lèvres.
Les débuts de Paulie dans la musique
Paulie me précise qu’il ne vient pas d’une famille de musiciens, mais que son père, comme beaucoup de pères irlandais, joue de la guitare acoustique, quelques accords.
– Tu vois, ça, par exemple, ce n’est pas commun en France, d’avoir son père qui joue de la guitare. En Irlande, ça l’est !
– Oui, c’est très courant, très, très courant.
Paulie a commencé à jouer de la guitare en arrivant à Mullingar, mais il s’est plutôt branché sur la guitare électrique, la guitare acoustique que jouait son père ne l’intéressant pas trop à l’adolescence. Il a appris à jouer tout seul et de fil en aiguilles, il a reçu des guitares à Noël puis, vers 16 ans, a monté un groupe de métal avec quelques copains, avec qui il joue toujours aujourd’hui.
– C’est ce qu’il faut faire, jouer avec d’autres musiciens, parce que tu apprends vraiment beaucoup, bien plus que sur Youtube ou en jouant tout seul dans ta chambre. J’avais 16, 17 ans, et on écrivait nos chansons, on gagnait des compétitions à Mullingar.
La musique, d’une passion à une profession
Si Paulie n’avait jamais pensé faire de la musique son métier, celle-ci s’est imposée à lui naturellement, jusqu’à prendre une place de plus en plus importante, et devenir son gagne-pain, de différentes manières : cours de guitares, concerts dans les pubs locaux, réparations. Il a même travaillé au magasin de musique de Mullingar pendant des années mais a arrêté pour libérer ses weekends et les consacrer aux concerts donnés localement ou ailleurs en Irlande.
Paulie est connu et reconnu désormais sur Mullingar, il est sollicité par téléphone quasiment tous les jours, soit pour jouer sa propre musique, soit pour des reprises, ou se joindre à une formation pour des évènements particuliers.
– Je me suis longtemps posé la question, est-ce que je suis un musicien professionnel ? Quelques années en arrière, j’aurais dit non, même si j’enseignais déjà la guitare, même si je faisais des concerts. Mais aujourd’hui, je me sens bien plus à l’aise à dire que, oui, je suis musicien professionnel. Je vis uniquement de la musique et je suis toujours bien occupé. Je donne des cours de guitare à l’école de musique de Mullingar ou chez moi, je fais des concerts 2 à 3 fois par semaine, ici, à Mullingar. Avant la pandémie, c’était 7 à 8 soirs par semaine et quand je dis 8, c’était 2 fois le dimanche. Je faisais partie de beaucoup de groupes locaux et chaque groupe jouait différents soirs de la semaine, donc j’étais vraiment très occupé.
Après le lockdown j’ai dû diminuer un peu parce que ma voix ne suivait plus.
Musicien, chanteur et compositeur de ses propres chansons
Car Paulie n’est pas que musicien, joueur de guitare, il chante aussi. Avant le confinement de 2020, il jouait tous les lundis à Mullingar avec Blues Confidential, un groupe de blues qui s’est dissous depuis et pour lequel il était le chanteur (vidéos sur Youtube pour de très chouettes morceaux). Avec Blues Confidential, ils avaient des concerts réguliers, le groupe tournait et jouait le weekend, participait à des festivals de blues en Irlande, entre autres. Sa voix de chanteur de blues était plutôt bonne mais Paulie me confie qu’il ne la pensait pas adéquate pour d’autres chansons.
Et puis est arrivé le lockdown, il s’est mis à écrire davantage de ses propres chansons et a finalement reconsidéré sa voix.
– C’est quoi ton style de musique, ce que t’aimes jouer ?
– Le funk ! Le funk, le pop funk, le rock. Ma musique traverse un peu tous ces genres, le reggae aussi.
Comme pour beaucoup de gens, en Irlande ou ailleurs, les longues périodes de confinement successives entre 2020 et 2021 ont permis à Paulie d’avoir du temps, beaucoup de temps. Il l’a mis à profit pour écrire et composer ses propres chansons, et les enregistrer, avec tout le matériel qu’il a chez lui ou bien dans des studios. 7 à 8 chansons au total, qui s’écoutent sur Spotify, Youtube, et toutes les majeures plateformes d’écoute.
C’est le cas de son titre Rhythm of the Moon, qu’il m’a fait l’honneur d’interpreter en guitare-voix, tranquillement assis sur un banc des jardins du Belvedere de Mullingar. C’est un titre qu’il avait commencé il y a longtemps, qu’il a terminé en 10 minutes pendant le confinement de 2020 et qu’il est ensuite allé enregistrer dans un studio du comté de Longford, en 2021.
Pour l’anecdote, si vous prêtez l’oreille, au tout début, vous entendrez même Arlo, son chien, dont la laisse était nouée au banc le temps d’une très jolie chanson qui m’a littéralement envoûtée:
Un casque ou des oreillettes amélioreront nettement votre expérience, pour saisir tous les sons de ce podcast enregistré intégralement au grand air. 🙂 Vous pouvez l’écouter dans le lecteur ci-dessous, ou le télécharger pour l’écouter sur l’appareil de votre choix.
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Paulie me confie qu’il peut mettre 10 ans à écrire certaines chansons, alors que d’autres peuvent être écrites en 10 minutes. En ce sens, Rhythm of the Moon est un peu un mélange des deux temporalités.
– Je suis vraiment très, très mauvais en texte, alors pour mes chansons, ça commence toujours, forcément, par la musique. Une fois que j’ai la mélodie, j’arrive à trouver les paroles et ça vient tout seul. Donc, en ce qui me concerne, la musique vient toujours systématiquement en premier.
Paulie s’inspire de tout style de musique pour faire ses compositions, de comptines pour enfants jusqu’au classique. Chose que je découvrirais en remontant dans la voiture, quand la station de radio nationale de musique classique se mettra en route avec le contact.
– J’ai toujours joué tout style de musique, y compris le classique. Et un jour, j’ai commencé à écouter Lyrics FM dans la voiture. La musique classique t’offre des mélodies différentes que tu n’écouterais pas ailleurs, donc c’est très intéressant quand t’en viens à composer tes propres chansons.
Jouer de la musique dans les pubs locaux et ailleurs en Irlande
Son métier de musicien, Paulie l’exerce donc principalement à Mullingar, dans les pubs où il joue live avec différentes formations. Occasionnellement, il part jouer quelques concerts dans le reste du pays, mais la plupart du temps, c’est bien dans son home town qu’il joue.
Il a fait quelques concerts à Mullingar, avec ses propres chansons originales, à chaque fois à guichet fermé, un vrai plaisir pour ce talentueux passionné.
– Ça se passe comment, ici, lorsque tu joues dans les pubs ? Les musiciens sont payés ?
– En fait, il y a une différence entre jouer des reprises et jouer ses compositions originales. Pour les reprises, oui, les pubs et les lieux qui nous accueillent nous payent, parce que ça leur assure de la clientèle. Il suffit d’aller voir le patron de pub et il te donne les disponibilités qu’il a en dates. Mais si tu joues tes propres chansons, c’est différent et tu dois vendre toi-même les billets pour payer la salle et te faire de l’argent. Ici, à Mullingar, ils sont plutôt sympas et ne nous font pas payer pour jouer nos chansons originales. Enfin, pas moi en tout cas. Peut-être parce qu’ils savent que je leur ramène du monde, sur mes trois derniers concerts avec mes propres chansons, j’ai fait salle pleine… C’est aussi un bon business pour eux, les gens consomment au bar.
Paulie joue dans différents pubs et lieux sur Mullingar, qu’il me montrera en passant dans le centre après notre balade. Parmi eux, le Daly’s où il se produit tous les Jeudis avec le groupe Tonic House Collective. Ces soirs-là, ce sont des sessions « open mic », de scène ouverte, où tout le monde est libre de venir chanter et jouer et où le groupe est là pour accompagner ceux qui veulent se produire avec eux le temps d’une chanson.
Les autres pubs et lieux de concerts à Mullingar, où Paulie se produit le plus régulièrement sont The Stables, Smiddy’s, Columbia le dimanche, le Casey’s également.
Ce que la pandémie du Covid-19 a changé dans les pubs
Paulie joue localement depuis des années, tous les styles de musique, avec différents groupes. Mais quand je lui demande quel genre de public vient assister à ses concerts, sa réponse première est assez limpide :
– Avant la pandémie, c’était vraiment tout type de public. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ceux qui aiment vraiment la musique sont moins présents, sortent moins souvent, moins régulièrement.
C’est aussi un constat que j’ai fait personnellement, les pubs en Irlande me semblent de manière générale encore moins fréquentés qu’avant, les gens ont pris l’habitude de moins sortir, de boire des bières chez eux, entre amis, plutôt qu’au pub, et il y a sans doute aussi ceux qui ne se sentent pas sereins de se retrouver dans des endroits clos avec foule.
– Les jeunes, tout de même, doivent quand même sortir, surtout après 2 ans sans pouvoir le faire, non ?
– Oui, mais là encore, la définition de « jeunes » n’est plus la même depuis la pandémie. Aujourd’hui, dans les pubs, tu te retrouves avec ceux qui avaient 18 ans au début de la pandémie, qui n’ont pas pu sortir pendant 2 ans, et qui ont aujourd’hui 20 ans. Tu as ceux qui avaient 17 ans au début de la pandémie, qui n’ont pas pu sortir pendant 2 ans, et qui ont aujourd’hui 19 ans. Et puis tu as ceux qui avaient 16 ans au début de la pandémie, qui ont aujourd’hui 18 ans, et qui commencent à sortir.
Donc c’est une génération de jeunes qui s’étale sur 3 ans, de jeunes qui commencent à sortir. Ça fait vraiment beaucoup, beaucoup de jeunes qui commencent à sortir, ils en meurent d’envie ! Mais ils n’ont pas l’habitude de la musique live, ils veulent juste se soûler et écouter les chansons qu’ils ont écoutées pendant 2 ans sur Spotify, pendant la pandémie.
Je sais que les pubs ont besoin d’avoir du monde et donc ils laissent rentrer ces jeunes. Je ne suis pas contre, ce qui m’embête, c’est qu’ils ne sont pas ouverts à la musique, et ça, c’est nouveau. Avant, les gens venaient pour voir les groupes jouer. Mais maintenant, ils sont dans ces pubs, ils pensent qu’ils peuvent juste « commander » une chanson à jouer comme s’ils choisissaient leur playlist sur Spotify. Si tu ne joues pas la chanson qui les intéresse, qu’ils demandent, ils te zappent et attendent juste la prochaine chanson qu’ils veulent. Non. Je ne suis pas un juke box ! Je vais jouer cette prochaine chanson, et ce sera agréable. Cette nouvelle tendance m’agace, parfois.
D’entendre ce constat de la bouche de Paulie, qui vient confirmer ce que j’observe moi-même, m’attriste un peu… Beaucoup… Passionnément.
La place de la musique dans les pubs, en Irlande
Je ne lui dis pas bien entendu, et rebondis sur la culture pub en Irlande, plus précisément sur la place de la musique dans les pubs irlandais.
– Les irlandais adorent leurs « sessions » (ndlr séances musicales dans les pubs, en direct) ! Habituellement autour de la musique traditionnelle, où n’importe qui peut venir se joindre aux musiciens et jouer. Et tout le pub écoute, car les gens adorent le craic, le plaisir et la bonne humeur que procurent ces séances musicales. Mais en fait, ce n’est pas forcément de la musique traditionnelle, ça marche avec n’importe quel type de musique, parce qu’en Irlande, les gens adorent simplement ça.
– C’est vrai que c’est très particulier à l’Irlande. En Europe, pour moi, il n’y a qu’en Irlande qu’on trouve ce genre de sens inné de la musique, chez tout le monde. Dès que la musique live démarre, en Irlande, tout le monde s’anime, chante, danse, c’est vraiment systématique. Par mon expérience, il n’y a que dans quelques pays d’Amérique du Sud où j’ai retrouvé ça, de manière si répandue et naturelle dans la population.
– C’est vrai. Ici, la musique peut vraiment changer la dynamique d’un pub. C’est d’ailleurs pour ça, je crois, que les pubs proposent de la musique live, parce que sinon les gens ne seraient là que pour boire, tout le temps. Et tu le vois, quand la musique démarre, ça peut vraiment changer l’atmosphère d’un pub.
C’est d’ailleurs des séances de musique traditionnelle dans les pubs qu’est venue l’idée pour Paulie et ses acolytes de Tonic House Collective de proposer leur scène ouverte du jeudi soir au Daly’s.
– C’est notre session à nous, ce n’est pas du trad, mais du pop folk. Tu n’as jamais une chanson qui est jouée deux fois de la même manière, les gens se joignent à nous, et c’est super, parce qu’on a de tels musiciens en Irlande ! C’est incroyable !
Mullingar est d’ailleurs le berceau de quelques musiciens qui se sont exportés à l’international, le plus célèbre d’entre eux ces dernières années étant probablement Niall Horan, du groupe One Direction (groupe initial d’Harry Styles, créé lors d’une émission de télécrochet britannique). Paulie l’a croisé bien sûr, c’était juste un jeune de Mullingar, comme les autres, qui jouait au foot et qu’il croisait de temps en temps, ici ou là, lors de concerts locaux.
Une scène originale, pour se produire en plein air à Mullingar
Quant à Paulie, lors de notre balade dans les jolis jardins du Belvedere, il m’a montré le décor d’une scène (d’un soir) en plein air sur laquelle il a eu la chance de jouer live durant le confinement :
– On a joué sur les marches de la maison bourgeoise, face au lac, pour une œuvre caritative. Bien sûr, il n’y avait pas de public, mais on avait une réalisation professionnelle, avec 13 caméras sur nous. C’était enregistré et diffusé en ligne. Il faisait super beau cette soirée-là, c’était vraiment une super expérience ! J’aimerais bien un jour pouvoir m’y produire à nouveau, avec mes propres chansons, ce serait chouette.
C’est évidemment tout ce que je souhaite à Paulie, et si je peux, je viendrai faire ma groupie, parce que je suis vraiment tombée fan de sa musique. Je vous invite bien sûr à découvrir son univers, sur Spotify ou sur sa chaîne Youtube, et à le suivre sur les réseaux sociaux… Et si vous passez un jour par Mullingar, vous savez désormais comment occuper l’une de vos soirées ! 😉
Je vous laisse partager en commentaires ci-dessous vos impressions sur ce nouveau portrait d’Irlandais, le 15ème de mon tour d’Irlande, et partager cet article avec tous ceux que ce sujet musical et irlandais intéressera. 😊