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[Portrait] Ben, fabricant de bodhráns (instrument traditionnel irlandais) – Comté de Clare

Ben March fabricant de bodhrans en Irlande

Le bodhrán (se prononce quelque chose comme « bowrone ») est une percussion, un instrument de musique irlandais utilisé lors de sessions de musique traditionnelle.

Voici donc le portrait de Ben March, dans le comté de Clare, à l’ouest de l’Irlande, qui fabrique ces bodhráns avec passion.

Le comté de Clare est connu pour trois choses : les falaises de Moher, le parc national du Burren, et… la musique ! Plus particulièrement, la musique traditionnelle irlandaise.

Carte comté de Clare Irlande

Le soleil baissait tranquillement derrière son duvet nuageux, face à moi, en cette douce et belle soirée de septembre. J’avais quitté Ennis depuis une demi-heure, et la voiture roulait plein ouest, la lumière feutrée m’obligeant tout de même à baisser le pare-soleil et porter mes lunettes noires. A mesure que j’approchais de mon lieu de rendez-vous, la route prenait son effet entonnoir, comme souvent en Irlande lorsque l’on s’aventure dans la campagne, par les chemins de traverse. D’abord une nationale avec une belle ligne blanche au milieu (signe d’une « belle route » en Irlande), tout en virages et montagnes russes, où l’eau vous surprend à ruisseler en travers au détour d’une courbe serrée, ces nationales qui rendent ma fille malade dès l’instant où on les emprunte. Je pensais à elle ce soir-là derrière mon volant, et étais bien contente qu’elle ne soit pas avec moi, parce que je savais que déjà en quittant Ennis, le mal du transport l’aurait prise, et il m’aurait vite fallu m’arrêter fréquemment, ajoutant un bon tiers à la durée du trajet. Telles sont mes vadrouilles irlandaises avec ma fille (je vous assure que j’ai tout essayé, mais rien n’y fait !).

Quittant la nationale, je prenais une route de campagne qui montait, où les marquages au sol étaient remplacés par des nids de poules, bosses et cabosses. Deux kilomètres avant d’arriver, je bifurquai sur la droite, pour me retrouver sur une route encore plus étroite, de celles que l’on appelle ici « boreen » en gaélique, celles où la nature reprend ses droits, où l’herbe transperce le goudron et pousse au milieu, laissant sur les côtés les traces de l’unique véhicule qui peut l’emprunter. Car oui, sur ces routes-là, on ne se croise pas. Elles sont pourtant à double sens, je vous assure !

Route irlandaise comté de Clare

C’est donc sur l’une de ces routes que mon GPS me guidait, pour aller rencontrer Ben, la personne qui avait accepté d’être interviewée pour représenter le comté de Clare dans le cadre de mon Tour d’Irlande en 32 interviews (une par comté). Ben m’avait d’ailleurs donné son Eircode, ce genre de code postal mis en place il y a quelques années seulement et relié à chaque habitation de la République d’Irlande :

– C’est en général avec ça que les gens me trouvent sur le GPS.

Effectivement, sans cela, son adresse ne sert à rien pour les étrangers qui veulent le trouver, tant il est perdu dans la campagne (j’ai un respect infini pour les facteurs de cette île, si vous saviez !).

Le GPS me mène sur une allée privée, en haut d’une colline surplombant un immense lac, et qui débouche sur un cottage auquel tient compagnie un petit atelier en pierre, juste à côté. Deux chiens aboient derrière la petite fenêtre du cottage, dont un jeune border colley aux yeux bleus. J’aperçois à travers la large fenêtre panoramique de son atelier celui que je devine être Ben. Il m’a entendue arriver et sort m’accueillir. Les épaules larges et la barbe bien fournie, gentillesse, douceur et humilité confondues sont les premières impressions qui se dégagent de ce visage cinquantenaire aux yeux gris.

– Tu veux un thé ? M’accueille-t-il chaleureusement après que nous nous soyons présentés.

Il m’invite à le suivre dans son atelier. Je suis aux anges, et je pense que j’aurais pu éclairer cette petite pièce tant mes yeux scintillaient d’émerveillement !

C’est que Ben n’est pas n’importe qui… Ben est un « bodhrán maker », un fabricant de bodhrán, un artisan qui fait de ses mains ce tambour irlandais utilisé pour accompagner d’autres instruments lors de sessions de musique traditionnelle irlandaise !

Dans la pièce, l’odeur de poussière et de bois mélangés propre aux ateliers, peut-être aussi un peu de verni, si je renifle bien. J’adore ! Artisan, artiste… même racine étymologique.

Atelier de fabrication de bodhrans comté de Clare Irlande

Ben vit ici depuis une dizaine d’années. Ce cottage était pour lui avant, pendant une vingtaine d’années, une maison de vacances, à l’origine une vieille demeure irlandaise qu’il a rénovée. Car il a habité un peu partout : 25 ans à Dublin, mais aussi en Angleterre, au Pays-de-Galles, en France, aux Etats-Unis, au Canada.

– C’est la circulation qui m’a fait fuir Dublin ! Trop de circulation !

– C’est sûr, tu n’as pas ce problème ici !

– Ha ! Ha ! Non ! Peut-être un tracteur, dès fois, mais c’est tout !

Ben est menuisier de métier, alors le travail du bois, il connaît.

– Si je pouvais vivre de la fabrication de bodhráns à l’année, je le ferais ! Mais malheureusement ce n’est pas possible, la demande n’est pas assez forte, et c’est seulement un travail à temps partiel. Le reste du temps, je suis menuisier.

En 2008, quand l’Irlande est entrée en récession, son entreprise de menuiserie dublinoise n’a pas survécu. Il a eu l’opportunité d’aller travailler au Pays de Galles, dans le fabuleux parc national de Snowdonia, où il est resté trois ans et demi. Là-bas, il a travaillé sur de gros chantiers de rénovations de bâtiments anciens, ce qu’il a adoré faire. Mais l’Irlande lui manquait, alors c’est là-bas qu’il s’est mis à fabriquer des bodhráns (c’est dingue le pouvoir d’attachement de cette île, je le constatais une fois de plus !). C’est aussi parce qu’il avait la place de le faire parce qu’à Dublin, ce n’était pas possible, il n’avait pas l’espace pour.

– Mais Ben, est-ce que quelqu’un t’a appris à les faire ? Comment est-ce que t’as appris ?

– En fait, je joue du bodhrán depuis plus de trente ans, donc je comprenais un peu l’instrument. Et j’ai suivi un cours avec un fabricant de bodhráns anglais du Norfolk (Marc « Mog » Moggy) le temps d’un weekend, on a fait un bodhrán ensemble et voilà ! Après je me suis débrouillé tout seul, mais je suis menuisier alors bon… Et je savais comment je voulais faire les choses différemment de lui, donc voilà !

Quand je lui demande comment il en est venu à jouer du bodhrán à l’origine, sa réponse est simple :

– J’écoutais toute sorte de musique, du punk, du reggae, et tout ça. Et un ami un jour m’a fait découvrir la musique traditionnelle irlandaise, et ça m’a vraiment plu. Et puis, j’ai déménagé à San Francisco, en Californie. J’y ai rencontré ma première femme qui était une joueuse de musique traditionnelle de Dublin. Elle m’a appris à jouer du bodhrán, et voilà !

Fabricant de bodhrans comté de Clare Irlande

Ah oui ! Ce que j’ai omis de vous dire, c’est que Ben n’est pas Irlandais ! Ben est Anglais, il a grandi à Cambridge. Je m’en doutais un peu avant de le rencontrer pour tout vous dire, car son prénom est très rarement donné en Irlande, et est à l’inverse très populaire chez les Britanniques.

– Ça ne te gêne pas pour ton projet ? Parce que tu m’as dit que tu voulais interviewer des Irlandais…

C’est vrai, le projet est d’interviewer un Irlandais par comté. Mais quelqu’un qui à mes yeux est aussi important dans un aspect de la culture irlandaise a tout à fait sa place dans mon projet de Tour d’Irlande en interviews. C’est même un grand privilège pour moi d’avoir son témoignage, et de l’avoir comme représentant du comté de Clare, ce comté où la musique irlandaise est vivante plus que n’importe où ailleurs sur l’île !

Ben ne fait parti d’aucun groupe tout simplement parce que dans le comté de Clare, la musique est partout, dans tous les pubs, toute l’année (pas pendant le COVID évidemment, mais en temps normal), et il suffit de rentrer et de se joindre à la session.

– Peut-être un ou deux musiciens seront payés pour la session, le violoniste (« fiddle player ») ou l’accordéoniste, mais ils ne sont pas payés beaucoup, juste un petit peu. Et tous les autres viennent se joindre à eux parce qu’on est tous copains.

– Ça ne te manque pas trop de jouer dans les pubs en cette période de COVID-19 ?

– Oh si ! En temps normal je joue une fois par semaine. Avant, je jouais quasiment tous les soirs, mais maintenant, je suis un peu plus posé, alors c’est en général une fois par semaine.

Ben se défend cependant d’être un fabricant de bodhráns traditionnel. Son choix de fabrication est plutôt radical et les bodhráns qu’il fabrique sont à mon sens autant des pièces d’art que des instruments de musique. C’est effectivement ce qui m’avait attiré pour l’interviewer : le modernisme de ses créations. A côté de lui, un objet attire d’ailleurs vite mon regard. C’est un bodhrán, l’un des siens, qu’il s’est fabriqué l’année dernière. A la peau d’un bleu vif magnifique !

– J’ai récupéré cette peau bleue. C’est une peau de chèvre, mais elle a été teinte en bleu indigo. Et je l’adorais tellement que je me suis dit que je m’en ferais un bodhrán !

Pour fabriquer les bodhráns, Ben utilise deux principales matières premières : le corps du tambour, le « tonneau », est fait en bois de peuplier, et la peau est en général de la peau de chèvre (plus occasionnellement du vélin).

Le peuplier, parce que c’est un bois qu’il trouve magnifique à travailler et à toucher, un bois clair, au joli grain et avec lequel il peut faire beaucoup de choses.

– Mon bois de peuplier vient du nord de la Russie mais je me fournis au Royaume-Uni parce que c’est très difficile d’avoir du bois de peuplier de bonne qualité, ici, en Irlande. Donc je vais me fournir en Angleterre une fois par an.

Quant aux différentes peaux de chèvre qu’il utilise, ce n’est pas lui qui les prépare mais il a une démarche très intéressante :

– L’un des aspects que je trouve très intéressant dans la fabrication de bodhráns aujourd’hui, c’est que je me fournis auprès des fabricants de tambours lambeg, ces autres tambours traditionnels (très gros) mais utilisés par les orangistes, les protestants, en Irlande du Nord, lorsqu’ils défilent. C’est une autre tradition en Irlande, la tradition orangiste, protestante. Il y a un fabricant de bodhráns très connu en Irlande, Seamus O’Kane à Derry, dans le Nord ; il est retraité désormais. Il est le premier à ma connaissance à avoir utilisé les peaux de tambours lambeg. Il les utilisait depuis très longtemps à l’époque des Troubles en Irlande du Nord. A l’époque il avait toujours des contacts avec les protestants de sa région pour leur acheter des peaux de tambours lambeg. Donc me fournir chez la communauté protestante pour faire des bodhráns propres à la communauté catholique, c’est un pont. C’est un pont entre les deux communautés, et c’est chouette.

Bodhrans en présentation, instruments de musique irlandais

Les fabricants de ces peaux de chèvres pour tambours protestants reproduisent un savoir-faire vieux de trois ou quatre cent ans. Ben utilise aussi parfois des peaux de vélin, et les gens qui les préparent ont eux un savoir-faire vieux de plus de 1000 ans ! Alors même s’il a déjà préparé des peaux, il n’a aucun intérêt à le faire lui-même quand des gens maîtrisent et se transmettent parfaitement la technique depuis si longtemps !

– D’autant plus que je suis végétarien, et la préparation de peaux est vraiment un travail pas du tout agréable…

Il fait cependant très attention à là où il se fournit en peaux.

On peut aussi teindre ces peaux, par bains, ce que Ben fait également parfois, ou alors il les achète déjà teintes car c’est aussi un processus plutôt complexe et long.

Pendant notre entretien, j’avais d’ailleurs au-dessus de ma tête, une douzaine de rouleaux de ces peaux, posés sur un filet tendu au plafond. 😉 Les lambegs font environs deux mètres de diamètre, donc avec une seule de ces peaux, Ben peut fabriquer quatre bodhráns !

Ben m’explique aussi que le design du bodhrán a énormément changé depuis les trente dernières années. Avant, ils avaient à la fois un diamètre beaucoup plus grand, et un corps de tambour beaucoup plus fin, moins profond. Ils avaient aussi une croix en bois à l’intérieur qui avait deux utilités : permettre au joueur de maintenir le tambour en place sur ses genoux en insérant sa main à travers, et tenir le bois du bodhrán en place afin d’éviter qu’il ne reprenne, avec le temps, sa forme naturelle de planche… raide et droite !

Désormais, ils sont à la fois plus petits en diamètre et plus profonds, et la barre ou la croix intérieure a disparu. Et tout cela parce que la manière de jouer a énormément changé.

Autrefois, on jouait du bodhrán de manière très simple. Parfois frappé à la main ou avec un gros baton qu’on appelle « tipper ». Alors que maintenant, si on utilise toujours un « tipper » (plus travaillé qu’avant), on fait aussi pression avec son autre main à l’intérieur pour changer la tonalité. Les grands bodhráns d’autrefois avaient un ton de base beaucoup plus bas, grave, et c’est ce qui est difficile aujourd’hui me dit Ben, parce que les joueurs d’aujourd’hui veulent toujours un son très bas, sourd, ce qui fait la spécificité de cet instrument, mais avec des bodhráns beaucoup plus petits.

– Moi-même d’ailleurs, j’aime avoir un plus petit bodhrán, que je peux transporter n’importe où, y compris en cabine quand je prends l’avion !

– Ah oui ! C’est presque comme un doudou en fait !

– Ha ! Ha ! C’est ça ! Tu peux le prendre en cabine avec toi quand tu prends l’avion et que tu pars en vacances, c’est bien plus pratique que les grands bodhráns d’autrefois !

Malgré cela, il y a toujours une petite demande pour des bodhráns de grande taille.

Il faut à Ben environs une semaine pour fabriquer un bodhrán car cela nécessite beaucoup d’étapes, et notamment de séchage.

– Mais alors, si je suis en vacances, et que je veux te commander un bodhrán, il faut que je vienne au tout début de mes vacances ?

– Et oui ! En fait, je suis assez prêt de l’aéroport de Shannon, et il y a beaucoup de gens, des Américains, des Allemands, des Hollandais, même des Français, qui volent sur Shannon, et viennent directement ici le premier jour de leurs vacances. Ils ont toujours peur de la route avec cette bande verte au milieu ! (il rit) Et puis ils me disent ce qu’ils veulent, on discute souvent pendant une heure… et ils repassent à la fin de leur séjour récupérer leur bodhrán, en retournant à l’aéroport !

Outils pour fabrication de bodhrans instrument de musique traditionnelle Irlande

Ben s’efforce de faire de chaque bodhrán un objet unique, et un instrument au son également unique. Les gens lui demandent parfois des inscriptions à l’intérieur de l’instrument, des peaux de telles ou telles sortes ou couleurs, des tailles différentes. Il reçoit également des commandes par emails, et alors ce sont souvent de longs échanges pour déterminer ce que les clients veulent exactement.

Avec le COVID-19, Ben n’a vu aucun visiteur cette année. Mais son marché principal n’est cependant pas auprès des touristes. Ses principaux clients sont de jeunes irlandais qui concourent lors des festivals de musique et danse traditionnelles organisés sur toute l’île, tout au long de l’année. Chaque comté à en fait sa propre compétition de musique irlandaise, qu’on appelle Fleadh (se prononce « flah »). Celles-ci mènent ensuite aux compétions régionales, de provinces, pour finir par la compétition nationale. Le calendrier s’étale sur toute l’année et les enfants prennent des cours, et participent aux compétitions pour devenir champion d’Irlande.

Et lorsqu’un enfant se débrouille bien, ou gagne une compétition importante, alors souvent ses parents lui offrent un nouvel instrument, un nouveau bodhrán.

Bien sûr, il n’y a eu aucune compétition en 2020 en raison de la pandémie du COVID-19, aucun cours, et Ben a vu ses commandes fondre.

– T’as vu où j’habite. J’habite au milieu de nullepart. Mais d’habitude les gens viennent me voir, commander mes bodhráns. Et c’est chouette !

– Ben, tu m’as dit que tu avais commencé à faire des bodhráns il y a seulement une dizaine d’années. C’est une super récompense de voir que les gens te font confiance, viennent et reviennent acheter tes bodhráns !

– Oui, tu vois, il n’y a pas beaucoup de gens qui fabriquent de bodhráns en Irlande. C’est bizarre, mais le gars qui vend probablement le plus de bodhráns dans le monde est Allemand, et vit en Bavière !

Ben me confie qu’en Irlande ils sont seulement 5 ou 6, et que comme lui, ils font tous ça à temps partiel. Seamus O’Kane qui a plus ou moins développé le bodhrán moderne, était le plus prolifique et est désormais retraité. Aujourd’hui, Ben est sans doute celui qui fabrique le plus de bodhráns en Irlande.

Pendant six ans, il a enseigné l’art de la fabrication du bodhrán aux plus jeunes lors d’un festival qui se déroulait dans le comté de Sligo (au nord-ouest de l’île) mais qui n’existe plus aujourd’hui.

– J’ai enseigné à beaucoup de gens, mais je ne pense qu’aucun d’entre eux ne deviendra fabricant de bodhráns. Ils en font peut-être quelques-uns pour eux ou des copains, mais pas de manière professionnelle.

Dans la fabrication d’un bodhrán, la partie la plus difficile est le cadre en bois car on transforme un bois rectiligne, des planches, en une forme circulaire. Ben a fabriqué lui-même la plupart de ses équipements et outils spécifiques à la construction de cet instrument.

Traditionnellement, cela était fait à l’aide de vapeur chaude, et on cerclait une seule pièce de bois que l’on attachait au niveau du joint. Mais c’était fait à l’époque avec du bois de frêne.

Pinceaux atelier de fabrication de bodhrans Irlande

Désormais, les bodhráns sont fait avec du bois laminé, des couches assemblées et collées ensemble. Ça rend l’instrument beaucoup plus stable dans le temps, et bien plus fin et léger.

– C’est un instrument de musique traditionnelle, mais il n’est plus fait ni joué de manière traditionnelle. Désormais, il est joué de manière très moderne. C’est beaucoup plus intéressant, une façon de jouer bien plus variée. Ce son s’est développé ces trente dernières années. Le rythme est beaucoup plus emballant parce qu’avant c’était beaucoup plus basic. Aujourd’hui, c’est un instrument très compliqué. Les gens continuent d’apprendre à le jouer tout au long de leur vie.

Le bodhrán est en fait un instrument d’accompagnement, et non de mélodie. Un joueur de bodhrán est là pour accompagner les autres, pas pour créer une mélodie. Mais pour être capable de créer beaucoup de tonalités et de notes différentes, il faut évidemment beaucoup de pratique et de technique. Cependant, Ben me dit que lorsqu’on arrive à un certain niveau de technique, on arrive presqu’à jouer des airs avec un bodhrán.

– Tu vois, si je jouais sur un morceau, tu reconnaitrais que je joue sur ce morceau plutôt que sur un autre, parce que je jouerais l’air, en quelque sorte.

Et puis, les mots ne servent à rien. Il prend son bodhrán. Mais avant de commencer à le jouer, il tapote sur sa tablette.

– J’étais à jouer avec mon amie Yvonne Casey avant que tu arrives. Je vais remettre le morceau…

Une vidéo d’une joueuse de violon irlandais démarre… (je conseille d’utiliser casque ou oreillettes pour une meilleure expérience auditive avant d’appuyer sur play dans le lecteur ci-dessous 😉 )

Joueur de bodhran comté de Clare Irlande

Ben préfère accompagner le fiddle (c’est ainsi qu’on appelle le violon en Irlande lorsqu’il est joué de manière traditionnelle) plutôt qu’un autre instrument.

Avant le COVID, Ben jouait de temps en temps avec Yvonne, joueuse de fiddle. Il adore son jeu, très marqué du comté de Clare, très expressif, elle joue avec les rythmes, y met des variations. En ça, le jeu d’Yvonne est très reconnaissable du comté de Clare.

– Est-ce qu’il faut connaître le musicien que tu accompagnes ou est-ce que tu peux jouer avec n’importe qui ?

– Non, ça aide vraiment si tu connais le musicien que tu accompagnes. Quand j’ai déménagé ici, je suis retourné à Dublin après un an ou deux, et j’ai fait une session avec un copain avec qui j’avais l’habitude de jouer avant. Un joueur de flûte. Et il m’a dit « Jeez ! Ça se voit que t’es parti dans le comté de Clare ! ». En fait, on ne pouvait tout simplement plus jouer ensemble ! Parce qu’il était très Dublin, et très calé sur le rythme. Et moi, j’avais simplement pris l’habitude d’improviser et de jouer avec les airs comme ils font ici. C’est beaucoup plus rêveur par ici !

Ben continue en me disant que dans le comté de Clare, les gens jouent de la musique très douce, ils jouent avec le rythme, ils peuvent accélérer ou ralentir un peu, parce que c’est expressif, ils mettent beaucoup d’émotion dans leur musique. Alors que Dublin est beaucoup plus urbain.

Nul doute que les douces collines alentour et que le temps influencent la musique locale !

– D’ailleurs, tu vois, là où on se trouve actuellement, on est sur les pentes du Mont Callan. Et il est question du Mont Callan dans un air qui s’appelle « The mist covered mountain » (« la montagne recouverte de brume »). C’est un air très connu, beaucoup de gens dans le monde le jouent. Ça parle de cette montagne. C’est un vieux monsieur qui l’a écrit, avec qui j’avais l’habitude de jouer il y a très longtemps, Junior Crehan, et qui est décédé aujourd’hui. Il a composé beaucoup d’airs, qui sont joués partout dans le monde. Et il vient d’ici, de Clare.

– Ben, t’as une idée de pourquoi Clare est LE comté en Irlande où l’on vient jouer et écouter de la musique ? Ce que je veux dire, c’est que ça pourrait être Galway ou Kerry, mais c’est Clare !

– Oh ! Je n’en ai aucune idée ! Ce qui est certain, c’est qu’il y a une forte tradition dans l’ouest de l’Irlande. Mais Christie Moore le dit : « si tu veux de la musique en Irlande, c’est dans le comté de Clare qu’il faut aller ! » Et il a raison ! Je pense qu’il y en a plus ici, et que c’est beaucoup plus enraciné dans la culture. Mes voisins ici sont fermiers, mais leurs enfants jouent, leurs petits enfants jouent, et c’est juste une part énorme de la tradition par ici ! Et sans doute que dans d’autres coins du pays, ç’a dû disparaître… Peut-être ç’a survécu ici parce que personne ne s’occupait vraiment de ce qui se passait ici ! Tu sais, les gens disent que la musique traditionnelle a presque disparu en Irlande et qu’elle a survécu dans des endroits comme Londres et New-York par les Irlandais qui avaient quitté leur pays et qui avaient le mal du pays.

La danse irlandaise vous intéresse également ? Lisez l’article sur Riverdance, le spectacle qui a modernisé la danse irlandaise, en cliquant ici.

Effectivement, l’histoire récente de l’Irlande revient rapidement et Ben me rappelle que beaucoup de musiciens qui sont là aujourd’hui ont dû partir à Londres à une époque, pour pouvoir travailler et gagner de l’argent, et que tous les grands noms de la musique irlandaise dans les années 50 vivaient en Angleterre, ou aux Etats-Unis.

– Tu sais, au tout début de l’Etat Indépendant, dans la première moitié du XXème siècle, l’Eglise Catholique s’opposait fortement à la musique traditionnelle irlandaise parce que quand les gens jouent de la musique, ils dansent, ils se touchent, et c’est une occasion de pécher !

Et puis, il continue :

– Donc oui, la musique a presque disparu de l’Irlande. Elle a sans doute toujours un peu survécu dans des endroits comme celui-ci où les gens jouaient en secret, dans les familles. Dans les années 30, au tout début de la République, il y avait le Dance Hall Act organisé par le gouvernement de l’Etat Indépendant, avec Delavera et l’évêque de Dublin, qui étaient tous les deux très conservateurs. A l’époque, ils n’autorisaient pas les regroupements de plus de 12 personnes pour danser et jouer de la musique sauf dans les établissements qui avaient des licences. Et à l’époque, ces seuls établissements étaient les centres religieux, donc le prêtre devait être présent. Et donc toutes ces danses irlandaises, les Ceilis, où ils dansent avec les bras le long du corps, et bien ces danses datent de cette époque. Parce qu’elles sont très chastes, on ne se touche pas, et on est en ligne, et donc le prêtre pouvait regarder et s’assurer que personne ne péchait. Et donc voilà le truc de la danse irlandaise ! (il rit) Ils n’utilisent pas leurs bras parce que quand tu commences à utiliser tes bras, ça devient sexy ! Et ensuite les danses de bal et de salon (« set dancing ») sont arrivées de France, les quadrilles. Et c’est devenu très populaire par ici désormais ! Les gens les dansent une fois par semaine. Et tu ne peux pas ne pas sourire quand tu pratiques ces danses de bal !

Joueur de bodhran Irlande

La nuit tombait après le crépuscule, et j’avais déjà pris suffisamment du temps de Ben, qui avait fait sa journée de menuisier avant de m’accueillir. Avant de le quitter, je lui ai tout de même demandé s’il pouvait rejouer un air.

Les vibrations sourdes et envoûtantes du bodhrán de Ben me raccompagnèrent à la voiture, et c’est de nuit que je reprenais la route, cette route à la bande verte en plein milieu, qui m’avait si bien menée ce soir-là.

Si l’envie d’un bel instrument de qualité et d’un bodhrán unique vous tente, je vous invite à aller visiter le site de Ben March.

Les routes d’Irlande sont belles, et me mènent vers de bien jolies rencontres, que j’ai hâte de vous partager ici ! Suivez-moi sur la page Facebook du blog pour être sûr de continuer à les découvrir !

Carte de visite de Ben March fabricant d'instruments de musique tradtionnelle Irlande
Posted in Musique, Portraits, interviews

4 Comments

  1. Skyrgámur

    Encore un beau portrait.

    Comment fais-tu pour dénicher des personnages tels que Ben ou Dawn ?
    Pour ta fille, as-tu essayé un brin de persil fixé sur le nombril ou une aspirine elle aussi fixée sur le nombril (avec du sparadrap)?
    Pour ma filleule et ses enfants, ça a été radical.

    • Aurélie Gohaud

      L’avantage de vivre dans le pays, c’est que même si je ne connais pas ces personnes, je sais plus ou moins parfois les sujets que je veux aborder, les spécificités régionales, et pour le reste, la curiosité est mon moteur principal, comme elle l’a toujours été dans tous mes voyages. 😉 Et puis je suis flexible, je peux me déplacer (toujours avec plaisir) 🙂 Et merci pour les astuces pour le mal du transport, encore deux que je découvre !

    • Aurélie Gohaud

      Oui effectivement, mais pas avec Ben. Comme il le dit, c’est un instrument qui demande de la pratique pour le maitriser. D’ailleurs, en écoutant bien l’enregistrement de l’article (avec casque ou oreillettes), on entend bien toutes les variations de rythmes et techniques que Ben met dans son jeu : un maestro du bodhran ! 😉

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