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[Interview] Les potes de Galway, l’esprit irlandais dans une rencontre insolite

Jeunes irlandais face aux falaises de Moher

Je me réveillais ce matin-là dans le comté de Clare. J’étais dans l’Ouest irlandais pour quelques jours, dans le cadre de mon projet d’interviews « 32 Irlandais, 32 comtés, 320 jours ». La veille, j’étais allée voir Ben, le fabricant de bodhrans, dans son atelier perché sur sa colline irlandaise. Mais aujourd’hui, je n’en avais aucune de prévue. J’avais pourtant l’intention de réaliser une interview pour le comté de Galway lors de cette vadrouille, parce qu’il était hors de question que je retourne à Dublin sans interview pour Galway dans mon sac à dos ! Et aujourd’hui était le seul jour où c’était possible, aussi bien du point de vue de mon emploi du temps que de mon trajet.

En effet, le seul impératif que j’avais ce jour-là était d’arriver vers 18 heures chez les amis chez qui je dormais, dans un village près de Galway. Je savais que je n’irais pas dégotter cette interview au fin fond du Connemara. Je n’en avais pas le temps. Parce qu’il faut du temps, pour arpenter les petites routes de l’Ouest du comté de Galway, cette célèbre région qu’on appelle le Connemara. Mais je m’étais laissé cette journée de libre, justement parce que dans ce « Tour d’Irlande », je voulais laisser de la place à l’imprévu, à des rencontres non organisées. Parce que c’est ce que j’aime, dans ce que j’appelle « la vadrouille » : ne pas prévoir. 😉

Carte comté Galway Irlande

J’étais donc ce matin-là en tête à tête avec mon full Irish breakfast, et je rêvais, plus que ne réfléchissais, à comment obtenir une interview « spontanée » aujourd’hui. Un fermier me tentait bien. Un fermier trouvé sur le bord de la route, aperçu de loin, qui viendrait voir si vaches ou moutons se portaient bien. Même si je sais bien que déranger qui que ce soit dans son travail, ce n’est pas la meilleure façon d’obtenir quelques minutes du temps précieux des gens, pour répondre à mes questions. Mais peut-être qu’avec mes plus beaux cheveux blancs et mon sourire, peut-être que… En fait, ce dont j’avais vraiment envie pour cette interview, c’était d’interviewer un ou une jeune, étudiant par exemple, parce que jusqu’à présent, toutes les personnes que j’avais interviewées dans mon projet, avaient toutes plus de 35 ans. Et dans ce tour d’Irlande, je voulais donner la parole à des Irlandais de toute l’île, de tout horizon… et bien sûr, de toute génération !

Je suis remontée dans ma chambre de B & B, me préparer. Et puis je me suis posée dans le jardin par lequel j’avais accès depuis la baie vitrée de ma chambre. Je me suis assise. J’ai fermé les yeux. J’ai respiré profondément, et j’ai écouté mon cœur. Et puis, j’ai lancé un appel à l’Univers, aux étoiles :

– S’il vous plaît, mettez sur ma route aujourd’hui, un jeune Irlandais à interviewer, du Comté de Galway. J’en ai vraiment envie… Merci.

Je me suis levée, j’ai bouclé mon sac, et j’ai pris la route. Sans savoir où j’allais. J’avais cependant envie de reprendre les petites routes qui menaient chez Ben, et de continuer cette boreen, cette route étroite avec sa bande d’herbe au milieu, et de voir où elle me mènerait. C’est qu’elle m’avait fait de l’œil la veille, et avait sorti tous ses charmes pour me séduire. L’emprunter n’était pas du tout raisonnable pour l’objectif de la journée, car elle m’envoyait vers l’ouest, vers la côte atlantique du Comté de Clare. Alors que si je voulais me rendre dans le comté de Galway pour y trouver une interview à réaliser, il me fallait aller vers le Nord ! Mais voilà, encore une fois, je m’étais faite envoûter, et sans résistance aucune, je filais vers l’ouest en empruntant ces mêmes petites routes que la veille.

Une fois passé le cottage de Ben, je slalomais à travers la verte campagne, ne croisant pour seuls véhicules que deux tracteurs en une vingtaine de minutes, avant d’atteindre le premier village, non loin de la côte. Après tout, puisque j’étais là, autant aller faire un tour sur les falaises de Moher ! Voilà ! Une fois de plus je me faisais avoir, et je succombais à l’appel de l’un des sites les plus touristiques d’Irlande ! Je n’ai jamais réussi à passer par là sans m’y arrêter. Sans doute que si j’y habitais, ce serait différent. Mais ce n’est pas le cas, et voilà que bientôt, je garai la voiture quelques kilomètres avant le Visitor Centre. C’est ce que je fais en général : j’emprunte le sentier le long des falaises en arrivant par le Sud. Le bain de foule est moins brutal pour mes goûts solitaires. 😉

Bientôt, je me retrouvais perchée sur une plateforme naturelle à la vue imprenable sur ces falaises, à un kilomètre du Visitor Centre.

Personne sur falaises de Moher irlande

Ce qui rend l’expérience des falaises de Moher encore plus forte, c’est que les sentiers sont à flanc de falaises, le vide est sous vos pieds, même si au plus proche du Visitor centre, cela a été sécurisé il y a quelques années. Sur la plateforme sur laquelle je me tenais, il suffisait de faire trois pas en avant pour faire une chute libre de plus de 200 mètres dans le vide. On était en fin de matinée, midi approchait sans doute, mais je ne pensais pas au pique-nique que j’avais dans mon sac à dos, que j’irais sans doute déguster quelque part, tranquillement, avec vue sur l’Atlantique et l’archipel des Iles d’Aran qu’on apercevait bien aujourd’hui. Le ciel était couvert, mais sec jusqu’à présent. On verrait ce que la suite nous réserverait. Pour le moment, je profitais du paysage, prenant, imposant. Je me tenais là, seule, immobile, rêveuse, absorbée dans mon monde, comme hypnotisée par la force du lieu, du vent, des oiseaux, de la roche, de l’océan, du ciel.

– Excusez-moi, vous pouvez me prendre en photo ?

Tirée soudainement de ma rêverie, je me retournai avec surprise vers un jeune homme plein d’entrain, déjà en mouvement, prêt à se mettre en place !

– Ok, donne-moi ton téléphone.

– Non, non ! ce n’est pas la peine ! Avec le tiens, c’est bien !

Hébétée, je sors mon téléphone le temps qu’il se mette dos aux falaises, et alors que je le voyais reculer sur la pente herbeuse…

– Fais attention quand même, ne descend pas trop !

J’avais à peine fini ma phrase que, médusée, je l’ai vu… retirer son sweat-shirt !… Et prendre la pose, torse-nu, les bras croisés, la tête tournée vers l’horizon !

J’ai vite compris ce qui se tramait, et en me retournant, une bande de jeunes filmait la scène à une vingtaine de mètres derrière moi !

J’ai souri, et je n’ai eu le temps de ne prendre qu’une photo que, déjà, Il se revêtait.

– Tu veux la voir ? lui fis-je en tendant mon smartphone.

– Non, non ! C’est bon !

Et il est parti comme il était venu…

La scène n’avait même pas duré deux minutes en tout ! Je me marrais, regardais la photo que j’avais prise, et en me retournant, je voyais que les 5 garçons étaient tous regroupés en rond, eux aussi sans doute en train de regarder la vidéo qu’ils avaient faite de la scène.

Tellement irlandais, cette façon de ne pas se prendre au sérieux ! Parce que même avec l’insouciance d’un jeune d’une vingtaine d’années, il faut une sacrée dose de déconnade et de détachement de sa fierté pour oser ce que ce jeune homme venait de faire… Juste pour s’amuser, juste pour le fun, juste pour le « craic » comme on dit en Irlande.

Alors après, j’étais là, j’essayais de me remettre à contempler les falaises, mais c’était trop tard : ces jeunes garçons avaient piqué ma curiosité ! Je décidai donc d’aller les trouver.

Je les voyais se marrer en me regardant arriver… Ils ne s’y attendaient sans doute pas ! 😉

– Salut les gars ! Dites, vous ne croyez tout de même pas que vous allez vous échapper comme ça ! Alors, dites-moi, c’était un pari, c’est ça ?

Des « ouais » s’échappent de leurs éclats de rire. Je regarde le Beau Gosse.

– Tu veux voir la photo ?

– Ok…

Et ses potes, immédiatement d’intervenir :

– Non ! Non ! Non ! Si tu la regardes, t’as perdu ! Tu perds le pari !

– Ok, je ne lui montre pas, mais je vous la montre au moins à vous, ça marche ?

Bogoss insistera pour la voir, perdant ainsi son pari. Pire ! Il me demandera, malgré les interventions de ses copains, à ce que je lui envoie sur Whatsapp.

– Vous venez d’où ?

– De Galway.

– Ah ! Mais c’est super ça ! En fait, j’ai un blog sur l’Irlande, en Français. Et en ce moment, je fais un tour d’Irlande pour interviewer des gens de chaque comté. Et je cherchais justement à interviewer quelqu’un de Galway aujourd’hui ! Je peux vous interviewer, et le mettre sur mon blog ?

Morts de rire, ils ont accepté à l’unanimité !

– On le montrera à notre prof de Français ! ajoute l’un d’eux.

Et Bogoss de me demander de lui envoyer le lien de mon blog dans mon message, avec la photo que j’avais prise de lui quelques instants plus tôt.

– T’inquiètes pas, je ne la mettrai pas sur mon blog ! Le rassurai-je sincèrement.

– Si ! Si ! Si ! Mets là ! me lancent tous ses camarades, toujours hilares évidemment.

C’est donc en haut des falaises de Moher, dans le comté de Clare, que j’ai interviewé cette bande de potes, du comté de Galway ! 😉

Ils s’appellent Daniel, Kyle, Tomás, Eoghan et Kieran, le BG, et ont tous 18 ou 19 ans.

– Mais dites, vous n’êtes pas censé être en cours aujourd’hui ?

– Non, on a juste fini le lycée l’année dernière, on vient d’avoir notre Leaving Cert’ (l’équivalent du Baccalauréat français) !

Courant septembre, ils n’avaient donc pas encore repris les cours pour l’université.

– Moi j’arrête les études, me dit Daniel. Je veux être coach sportif, alors je n’ai pas envie de continuer…

– C’était une année un peu particulière pour vous alors… vous n’avez pas passé d’examen…

 – Non ! On a loupé toutes les épreuves ! Ha ! Ha !

En vrai, ils l’ont tous eu, le Leaving Certificate… Il me sera impossible d’être sérieuse avec cette bande de joyeux lurons qui venaient pour la première fois sur ce site, mondialement connu. Ils viennent de Portumna, un village du Sud du comté de Galway, sur les rives du Shannon, à environs 1h30 de route de notre lieu de rencontre.

Quant à moi, je me suis mise au diapason avec plaisir pour continuer l’interview.

– Pourquoi êtes-vous là aujourd’hui, à part pour un pari débile ?

– Pour la vue, c’est la première fois qu’on vient.

– Ah ! Donc c’est un peu exceptionnel pour vous d’être là ! Vous allez faire un tour au Visitor centre ?

– On en arrive !

– Et alors, que pensez-vous des falaises de Moher ?

– Ah ! Ce n’est pas aussi chouette que Galway, tu sais !

Ah ! Ah ! Ah ! Tellement irlandaise cette réponse pleine de sarcasme et de régionalisme !

Et un autre de renchérir :

– Il n’y a rien qui vaut la rivière Shannon !

– C’est ok, c’est pas trop mal… C’est assez haut quand même, mais c’est ok… ajoute un autre d’un air détaché.

Ils me font rire, cette bande de jeunes mecs. J’aime la jeunesse irlandaise, parce qu’elle représente la décontraction et la non prise de tête, l’état d’esprit irlandais à son paroxisme. Et quand je leur demande quel est le programme pour la suite de la journée :

– On va jouer au pitch and putt (ndlr – mini-golf) et après, on rentre !

– On ira prendre quelques pintes !

– Il y a des pubs d’ouverts, chez vous, en ce moment ? m’enquerrai-je en cette drôle de période post Covid-19.

– Où on peut manger, oui.

– Ah ok… Mais ce n’est pas le pub comme d’habitude, n’est-ce pas ?

– Non, c’est sûr…

– D’ailleurs, les pubs étaient fermés pour la St Patrick, comment l’avez vous célébrée cette année ?

– On a bu des cannettes à la maison, ne t’inquiète pas !

Ils se sont d’ailleurs fait une joie de balancer l’anecdote alcoolisée de l’un d’entre eux, dont je tairai les détails ici. 😉

Quelques photos prises à ma demande pour conclure. Ils étaient libres de la pose, j’avais juste choisi le décor, à quelques pas de là : le même que celui où cette rencontre avait débuté. 😉

Jeunes irlandais en haut des falaises de Moher, Clare

Avant de les laisser partir, j’ai envoyé « sa photo » à Kieran, qui finalement ne m’a jamais dit de ne pas la publier sur le blog (ses potes n’ont à l’inverse cessé d’insister pour qu’elle y soit).

La voici donc ! Et j’espère qu’ainsi, il récupérera son pari, qu’il mérite amplement de gagner ! Well done Kieran ! 😉

Jeune homme en haut des falaises de moher irlande

Une fois de plus, je remerciais les étoiles, de m’avoir servi sur un plateau doré ce que j’avais demandé de tout mon cœur le matin même : interviewer un jeune, de Galway !

J’en ai même eu 5 pour le prix d’un, quel bonheur ! Il y avait tellement tout ce qui fait le charme des Irlandais dans ces jeunes hommes : le détachement, la simplicité, la non prise de tête, le sens de l’humour et de la dérision, le bon mot !

Mon interview de Galway en poche, j’ai donc ensuite pu profiter de la journée pour marcher une douzaine de kilomètres sur le sentier le long des falaises, et profiter ainsi de ce lieu qui sera désormais pour moi, éternellement lié à cette anecdote. Une anecdote que j’ai déjà racontée quelques fois vous vous en doutez bien, et vouée à devenir une parfaite histoire de pubs, qu’on m’entendra probablement radoter de temps en temps, après quelques pintes !

Vous pouvez partager cet article si vous avez souri au moins une fois, et faire ainsi profiter de la bonne humeur irlandaise à vos amis ! 😊

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6 Comments

  1. Skyrgámur

    La photo du BG est prise d’un peu loin, je ne peux admirer sa musculature !!! 🙂
    Tu parles de tes cheveux blancs, tu n’as pas encore toute la tignasse blanche ?

    • Aurélie Gohaud

      Haha ! J’ai toujours ma meche magique de la Reine des Neiges ! 😉 Quant a la photo en question, c’est volontairement que je ne l’ai pas mise en plus grand format… Et c’est suffisant pour admirer le paysage ! 😉

  2. Hélène

    Belle ballade, toute en décontraction, le long du sentier des falaises. Ces jeunes sont vraiment cools!
    J’ai eu l’occasion d’aller sur ce site impressionnant, mais beaucoup de monde…En fin de journée, plus la pluie qui s’était invitée, c’était beaucoup plus calme!

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