Si vous demandez à un Irlandais à quoi il associe le comté de Wexford, il y a de grandes chances pour qu’il vous réponde ceci : les fraises !
Surpris d’apprendre qu’on fait pousser des fraises, en quantité, en Irlande ? Avec le temps irlandais, on pense plus aux pommes de terre, aux carottes et aux choux, c’est certain. 😉
Cela peut donc surprendre si l’on est moins familier de l’Irlande, mais le comté de Wexford est la région productrice de fraises pour le pays, et est connue et reconnue pour ça partout sur l’île. Wexford a même sa propre Fête des fraises (avec l’élection d’une reine !), évènement qui se déroule tous les ans au mois de juin, dans la charmante petite ville d’Enniscorthy.
Si l’on appelle le comté de Wexford le « Sunny South East », le Sud-Est ensoleillé de l’Irlande, il y a cependant d’autres raisons à cette spécialité régionale qu’est la production de fraises. Je vous explique d’ailleurs pourquoi plus bas. 😉
Pour ce Tour d’Irlande en interviews (1/comté), j’ai donc tout naturellement voulu interviewer quelqu’un qui était impliqué d’une manière ou d’une autre avec ce petit fruit rouge synonyme d’été, de soleil, de chaleur… d’Irlande quoi ! 😉
Allez, grimpez dans le sac à dos ! Nous partons donc cette fois-ci à la rencontre de John et Margaret, producteurs de fraises dans le comté de Wexford !
En route pour le comté de Wexford, à la rencontre de John et Margaret
J’avais embarqué ma fille dans cette vadrouille entre mer et montagne du Sud-Est de l’île, avec bivouacs, randonnées, et baignades sur de jolies petites plages de sable fin, plages surveillées par des vaches qui paissaient tranquillement au-dessus des rochers. Au programme également, une étape dans le comté de Wexford pour mon projet d’interviews… Chez des producteurs de fraises. Ma fille m’en aurait voulu toute sa vie, je crois, si j’y étais allée sans elle ! 😉
On avait quitté les nationales, et il me semblait que les routes diminuaient un peu plus à chaque tournant. Nous n’étions qu’à une dizaine de kilomètres de chez John et Margaret pourtant, non loin de la côte Sud de Wexford. Mais ces petites routes irlandaises réussissaient à faire perdre le Nord à mon GPS, et je dus prendre quelques détours de campagne pour trouver la maison de John et Margaret, adjacente à leur exploitation horticole Danescastle Fruit Farm.
John et Margaret avaient accepté de me recevoir en pleine saison de récolte, la haute saison, une époque de l’année où ils n’avaient pourtant pas une minute à eux.
C’est sur un Dimanche qu’ils avaient accepté de m’accueillir chez eux, et de répondre à mes questions. Seul jour de la semaine à cette saison où Margaret pouvait se dégager un peu de temps.
D’ailleurs, lorsque nous arrivons, c’est Margaret seule qui nous accueille, et nous invite à nous asseoir en extérieur, côté jardin, et sous le soleil (Wexford, ou la côte d’Azur irlandaise, cqfd !).
Elle prend son téléphone et appelle John pour qu’il nous rejoigne. Je ne pensais pas le voir à vrai dire, car il était convenu que ce soit Margaret qui nous reçoive. Pas de Dimanche quand on est cultivateur ! Pourtant, John aussi prendra de son précieux temps, une parenthèse dans sa journée de travail, pour venir s’asseoir aux côtés de sa femme, et répondre à mes questions.
Comment John et Margaret sont devenus producteurs de fraises
John et Margaret ont tout deux grandi dans des fermes laitières, du comté de Cork pour Margaret, et du côté d’Enniscorthy, dans le comté de Wexford pour John.
Ils se sont rencontrés à Cork où John étudiait la gestion agricole et se sont ensuite installés du côté de Wexford, là où ils sont aujourd’hui. Les premières années, John travaillait comme responsable sur une grosse ferme des environs, et puis en 1992, ils ont décidé de se lancer à leur compte dans leur propre exploitation.
– C’était en Janvier 1992. Je sais exactement quand on a commencé, me lance Margaret en souriant, parce que mon fils aîné avait 13 mois, et il est né en décembre 1990 !
Leur activité ? Pas les fraises, non, mais… La production de champignons ! Quand je m’en étonne, Margaret me précise :
– Oui, la culture de champignons était importante par ici à l’époque. Il y avait une grosse entreprise de conditionnement à Gorey (ndlr – comté de Wexford) pour laquelle travaillaient 56 producteurs locaux !
John et Margaret ont d’abord commencé avec trois serres. Et leur choix pour démarrer s’est porté sur les champignons car cela demandait peu d’investissement.
Leur exploitation s’est développée petit à petit, et puis en 1996, ils se sont diversifiés pour se lancer également dans la culture de fraises. Ils ont produit champignons et fraises simultanément jusqu’en 2002, époque durant laquelle leur entreprise a continué à s’agrandir.
– A cette époque, on était déjà reconnus en tant que producteurs de fraises. Et c’était difficile de gérer les deux cultures. Il fallait des saisonniers différents, et puis surtout, nous n’avions plus de place pour nous agrandir.
Ils ont donc décidé de convertir les serres à champignons en serres à fraises.
L’exploitation horticole de John et Margaret s’étend aujourd’hui sur près de 8 hectares. Ils sont parmi les plus gros producteurs de fraises d’Irlande et travaillent presqu’exclusivement avec la plupart des enseignes de supermarchés (sauf Tesco). Leur client principal est une chaîne irlandaise, Supervalu, plus particulièrement leurs petits magasins du nom de Pettitt’s, orientés sur la production locale. Il en existe sept au total, répartis principalement sur les comtés de Wexford et Wicklow.
Si John et Margaret écoulent le gros de leur production dans les supermarchés des environs, ils ont aussi un magasin de vente directe derrière leur maison, entre les serres, où les particuliers peuvent venir acheter les délicieuses fraises que ma fille et moi avons eu le plaisir de mettre sous nos papilles ! Ils y vendent également des produits artisanaux et locaux tout aussi délicieux : sorbets (à tomber par terre !), crackers, jus de fruits, et autres gourmandises qui sont venus garnir nos pique-niques et repas des jours suivants !
La production de fraises en Irlande au fil des saisons
La production de fraises, comme toute culture, est un travail fait de cycles qui se renouvèlent, un travail qui s’étale sur toute une année.
Je vous ai dit au début de l’article, que le comté de Wexford était connu en Irlande pour son climat le plus clément de l’île. Je m’étais toujours demandée cependant pourquoi les fraises, et pourquoi seulement Wexford. C’est John et Margaret qui m’ont (enfin !) donné l’explication :
– Ca date de l’époque où on transformait les fraises dans les environs, pendant 50 ou 60 ans, il y avait quelques usines qui faisaient de la confiture et un gros dépôt à Enniscorthy. A l’époque, on faisait pousser les fraises dans le sol, et le sol de Wexford était très approprié pour faire pousser les fraises, notamment autour de Clonroche.
Si la filière de transformation des fraises a disparu, la culture, elle, est restée dans le comté de Wexford. Aujourd’hui, les techniques ont évolué et les fraises de John et Margaret sont cultivées sous serres, et hors sol.
– Sous serre, on peut faire pousser n’importe quoi, me précise John. Mais surtout, avec les serres, tu contrôles. Et dans ce pays, tu veux vraiment pouvoir contrôler si tu veux faire pousser quoi que ce soit ! Le temps irlandais est toujours tellement imprévisible !
La récolte des fraises chez John et Margaret débute à la fin du mois de Mars et s’étend jusqu’à fin octobre, début novembre.
– On est toujours les premiers à démarrer la récolte ! Ajoute Margaret en rigolant.
Entre les deux extrémités de la saison des récoltes, c’est aussi tout un travail de gestion des serres. Pour les premières fraises de mars, ce sont les serres en verre qui sont utilisées. Ensuite, quand on avance dans la saison, les fraises poussent dans différentes serres appelées « cold houses » avec des vitres non chauffantes, ou encore d’autres types de serres qui permettent de réguler les températures.
– Parce que c’est très difficile de faire pousser des fruits si les températures sont trop chaudes dans les serres en verre, comme pendant les mois de juin et juillet. Donc à cette période, on les fait pousser dans d’autres types de serres, plus fraîches. Et pour la deuxième plantation, sur les mois de septembre et octobre, on est de retour dans les serres en verre.
Ces différentes structures permettent à John et Margaret de prolonger les saisons, pour répondre à la demande des supermarchés et de la continuité de l’approvisionnement. Autant de structures qui demandent évidemment beaucoup de maintenance, un travail qui se fait exclusivement à la main.
John et Margaret emploient donc 6 personnes à plein temps, tout au long de l’année. Pour la saison des récoltes, c’est une équipe de 25 saisonniers qui travaillent du Lundi au Vendredi, la plupart venant d’Europe de l’Est.
– Ils arrivent vers février, travaillent ici pour la récolte toute la saison, et repartent chez eux en Novembre, où ils prennent leurs vacances, avant de revenir pour la saison suivante.
En tout, c’est donc une trentaine de personnes qui sont nécessaires pour récolter les fraises sur les 8 hectares pendant tous ces mois. Un travail manuel, que la technologie moderne ne permet toujours pas de remplacer.
– Il y a des études qui sont menées dans ce sens, des machines en test et quelques expérimentations comme en Belgique par exemple. Mais à l’heure actuelle, ces robots ne permettent de ramasser que 70% de la récolte, ce n’est pas suffisant et loin d’être au point.
Quand la saison prend fin en Novembre, arrive le temps des réparations, et de la maintenance. Vider les serres, faire les réparations nécessaires. Avant de commencer les plantations à nouveau, aux alentours du 10 décembre.
– Avant, je travaillais l’hiver. Mais aujourd’hui, avec les années, il n’y a que John qui travaille l’hiver, et moi, je me repose ! plaisante Margaret.
Quel avenir pour les fraises de John et Margaret ?
Les trois enfants de John et Margaret ont choisi des chemins professionnels autres que celui du monde agricole. Les deux aînés sont professeurs dans le comté de Wexford, et leur plus jeune est ergothérapeute à Londres.
– Mais ils nous aident énormément, aussi avec le côté administratif et les salaires par exemples. Ils nous aident beaucoup. Maintenant, est-ce qu’ils veulent reprendre notre affaire ? Non, je ne pense pas, me confie Margaret.
Sans surprise, John et Margaret me confirment que très peu de jeunes aujourd’hui en Irlande se lancent dans la culture de fruits, ou toute autre activité agricole.
– C’est du 7 jours sur 7, précise John. Le travail en soit n’est pas particulièrement difficile, mais c’est intense. Les gens ont pris l’habitude de travailler du Lundi au Vendredi et veulent leurs weekends. On peut toujours dire qu’il est possible de déléguer, et d’organiser son temps, mais ça reste très intense. Et pour quelqu’un qui n’est pas vraiment prêt à ça, ça peut faire un peu peur. C’est le cas pour tous les métiers agricoles de toute manière, c’est un peu plus dur, j’imagine.
Alors John et Margaret iront probablement jusqu’à l’âge de la retraite, actuellement 67 ans en Irlande. Et s’il n’y a personne pour leur succéder, ils diminueront sans doute petit à petit leur production, jusqu’à une taille plus facile à gérer. Ils continueront sans doute à travailler avec les supermarchés locaux et garderont aussi leur magasin de vente directe, juste derrière leur maison.
La suite de notre visite au pays des fraises !
John s’en est retourné à son travail, et Margaret a gentiment proposé de prolonger notre visite, de l’autre côté du jardin cette fois-ci ! Après un tour à la boutique (spécialement ouverte pour nous car fermée le Dimanche !), nous sommes passées dans différentes serres où Margaret nous a expliqué les différentes installations. Fraises et framboises de différentes variétés rougissaient à notre passage, quelques-unes d’ailleurs finissant sous nos palets.
Et puis, ma fille a pu s’exercer avec joie à la cueillette de fraises, selon différentes techniques, deux principalement, sous les explications bienveillantes de Margaret.
Nous avons continué notre vadrouille sur la Côte d’Azur Irlandaise, sous le soleil, bien sûr. J’aurai l’occasion de vous en parler dans un prochain article probablement ! 😊
Ah ! Et nous sommes reparties de Danescastle Farm avec quelques gourmandises de la boutique, et une énorme barquette de fraises offerte par John et Margaret ! Les fraises ont ça de magique qu’elles offrent du bonheur juste en les voyant. John et Margaret nous ont donc offert une barquette de bonheur, en plus de leur temps. Mille mercis à eux !
Vous pouvez aussi retrouver John et Margaret sur la page Facebook de Danecastle Fruit Farm.
Pour en découvrir davantage sur l’Irlande, ses habitants, sa culture, vous pouvez recevoir le livre numérique que j’ai écrit « 20 anecdotes culturelles propres aux Irlandais« . Je vous l’offre lorsque vous me rejoignez dans la newsletter, et il y est entre autre question d’une autre particularité irlandaise au sujet des fraises, qu’on n’a d’ailleurs pas abordée lors de cette interview avec John et Margaret ! 😉
Elles donnent envie ces fraises. Ta fille a dû se régaler