C’était un 19 septembre. Christy Moore jouait ce soir-là au National Concert Hall de Dublin, une salle de concert que j’avais découverte il y a des années. J’y avais mis les pieds pour la première fois en tant que bénévole, bénévole pour la première édition du Guitar Festival of Ireland. Cette même édition qui m’avait permis d’avoir accès à de belles représentations dans des lieux inédits, comme la chapelle de Trinity College, à l’acoustique exceptionnelle.
Mais ce soir-là, c’était bien Christy Moore que je verrais en représentation au « NCH » comme on l’appelle. J’avais eu ma place sans problème, un concert pourtant annoncé peu de temps avant qu’il ait lieu finalement. Mais Christy Moore en concert, en Irlande, c’est en général un concert à guichet fermé.
Christy Moore n’est cependant pas le genre d’artiste qui joue dans des stades. Non, Christy Moore est plus intime.
Pas vraiment connu en dehors de l’île d’Irlande, ou tout du moins des non anglophones, c’est néanmoins une légende vivante ici. Ce poète troubadour originaire du comté de Kildare (où il vit toujours) sévit dans les salles de concerts irlandaises depuis les années 70. Avant les salles de concerts en réalité, c’était plutôt dans les pubs, et les bars d’hôtels où l’on pouvait l’écouter. Pendant le concert de ce 19 septembre, il a d’ailleurs rappelé qu’il avait joué au National Concert Hall de Dublin pour la première fois en 1983 je crois.
Je définis souvent Christy Moore comme l’entre-deux irlandais de Brassens et Cabrel. La seule chose qui n’est pas entre-deux, c’est sa notoriété. Nombreux sont les foyers irlandais qui possèdent au moins son album « Live at the Point » datant de la première moitié des années 90.
J’avais tout préparé pour assister à ce concert, avec ma fille. C’est que c’était la première fois qu’elle le verrait live, et j’avais passé dans l’après-midi, et pour l’occasion, mon album live préféré : « Live at Vicar Street« , un autre succès christy-moorien.
Tout préparé. Tiré les rideaux alors que le ciel était encore bleu parsemé de nuages rosés d’un soir de septembre. Eteint les lumières. Allumé les bougies. Préparé un plateau à picorer, un bon jus de pomme pour ma fille, et un bon Languedoc pour moi. Nous assisterions au concert de Christy Moore depuis notre canapé. Un concert 2.0 post-Covid-19.
J’avais jusque-là refusé « d’assister » à ce genre de concert par procuration, tant j’aime l’énergie des concerts et de la musique live. Mais voilà, de la musique live, depuis quelques mois, je n’en ai plus que par les rares buskers qui furètent dans les rues de la capitale. Finie la musique live des pubs, qui vous atteint les oreilles le soir quand vous passez dans les rues de n’importe quel blède d’Irlande. Finies l’énergie et la convivialité de ces mêmes pubs, dans lesquels la musique a une place tellement importante. Et puis aussi, finis les concerts. Dans les pubs, en plein air, ou dans les grandes salles de concert. J’ai ainsi vu 3 concerts reportés à 2021, et un annulé, qui aurait justement dû avoir lieu au National Concert Hall, fin mars de cette drôle d’année 2020.
Nous sommes bien installées, ma fille et moi, sur notre canapé. Le décompte commence et trois minutes avant 20h, une musique d’ambiance se met en route. 19h59, écran noir, on entend la respiration et les pas d’un homme qui s’installe. 20h, lumière !
Christy est là, seul, assis sur sa chaise au milieu de la scène, un bodhran sur les genoux, les guitares d’un côté, sa gourde d’eau et serviette de l’autre, et sa set list parterre, devant lui. Il nous salue, dans une salle au silence triste à mourir.
– Ça me fait du bien d’être là, de reprendre à travailler après ces quelques mois. Vous savez, quand je rentre dans les salles de concert le Samedi soir, il y a toujours ce mélange d’après rasage et de parfum qui vient m’embaumer les narines, et alors je sais, je sais que c’est notre rendez-vous, et ça me donne un élan du tonnerre pour toute la soirée ! Ce soir, je sais qu’où que vous soyez, vous avez mis votre après-rasage ou votre parfum…
Mince, j’ai omis de me faire belle pour l’occasion. Trop tard pour me lever et aller me parfumer. A défaut, j’ai fait notre salon beau de cette ambiance intimiste, et je l’ai parfumé d’encens. J’ai quand même envie de pleurer. Je ne sais pas si c’est de joie, de pseudo-assister à un concert après tous ces mois privée de musique live, qui plus est de Christy Moore que j’admire, ou si c’est de tristesse, de le voir se produire dans cette salle terriblement vide.
Les chansons s’enchaînent. Tous ses classiques, et ses reprises les plus célèbres, dont A fairytale of New-York des Pogues. Il est ce soir-là comme il est lors de tous ses concerts : conteur d’histoires et d’anecdotes délicieuses qui introduisent ses chansons. Il cite aussi toujours, systématiquement, les auteurs ou compositeurs des chansons quand elles ne sont pas de lui. Quelque chose que j’apprécie toujours, signe de respect et d’humilité. Et puis, il nous regarde, nous autres spectateurs invisibles qui ne sommes pas assis dans les fauteuils du NCH. C’est assez troublant je dois dire.
Je suis vite agréablement surprise par sa voix, toujours aussi belle, douce et ronde, qui n’a pas changé depuis que je l’ai découvert, à mes tous débuts en Irlande.
– C’est drôle, on dirait qu’il a 40 ans mais que c’est un vieux monsieur !
– Qu’est ce que tu veux dire ? réponds-je à ma fille, surprise.
– Bah c’est un vieux monsieur, mais il a une voix comme s’il avait 40 ans !
Ah. Il semble que ma fille aussi ait remarqué la superbe voix du chanteur. Et elle a raison. Pourtant, je peste. Je peste intérieurement, car l’équipement audio sur lequel on écoute ce concert est tout pourri ! Christy à beau jouer ce soir en solo et en acoustique, je sais que je perds en qualité de son. Je l’ai su dès les premiers instants, quand il a entamé son set en jouant du bodhran, et où je ne percevais pas les sons sourds de l’instrument. Je pestais. Fichu covid, qui ne mérite même pas une majuscule !
On essaie d’applaudir parfois, à la fin d’une chanson. Ma fille le trouve drôle. Mais avec toute notre bonne humeur, ça reste triste à pleurer, et surtout, ça sonne faux. Alors j’arrête vite d’applaudir. Pourtant, parfois, je m’y remets, un peu, lorsque je sais les passages où, d’habitude, le public applaudit pour battre le rythme pendant certaines chansons. Je les entends dans ma tête, mais pas dans mes oreilles. Et ça me manque dans cette prestation 2.0.
– C’est un peu triste, je trouve, me répétera à quelques reprises ma fille, pourtant pas du genre à négativiser.
Quant à moi, ce qui me donne vraiment envie de pleurer, ce sont ces plans, où l’on voit Christy de dos, face à l’auditoire, vide de toute âme.
21h15, il annonce la fin de cette session.
– J’espère qu’on se retrouvera bientôt avec après-rasage et parfum, et qu’on sera ensemble… Je chante cette dernière chanson pour ma femme. Je serai à la maison dans une demi-heure environs. Chérie, mets la bouilloire en route !
Il est 21h20, Christy Moore se lève dans un tonnerre de silence, et quitte la scène, seul. Pas de rappel. Je pleure.
– Moi je trouve que c’est un peu triste qu’il y ait personne, quand même…
Oui, ma fille, c’est « un peu » triste, un concert sans public.
Elle se met à entonner Lisdoonvarna.
– Je crois que c’est ma chanson préférée ! Est-ce que tu l’as sur CD ?
– Bah ? Bien sûr, on l’a écoutée cet après-midi ! Tu ne te souviens pas ?
– Non, mais pas sur l’ordinateur ! Sur un CD !
Ah ! Ma fille jouis d’un lecteur CD (et K7 !) dans sa chambre et a hérité de mes anciens CDs (et K7 !) qui prenaient la poussière. Je lui tends le Live at Vicar Street qui était resté sur mes étagères. Elle le met de suite dans son lecteur CD. Piste 11. Et voici que Lisdoonvarna résonne à nouveau chez nous… Cette fois-ci, avec l’accompagnement des applaudissements du public de l’époque ! Une larme coule discrètement sur ma joue. Quand est-ce que je pourrais emmener ma fille applaudir Christy Moore dans une salle pleine d’après-rasage et de parfum ?
Christy Moore était brillant ce soir. J’aimerais savoir comment il a vécu cette étrange performance, unique dans sa longue carrière.
Bien sûr, il y a plus grave que d’être privé de musique live dans la vie. Mais en Irlande, retirez la musique, et vous retirez une grande partie de l’âme de ce pays. Quand on parle des pubs fermés en Irlande, on parle aussi de l’absence de musique. Je ne sais pas comment c’est ailleurs, dans les autres pays. Mais pour nous ici, en Irlande, j’ai vraiment l’impression que depuis 6 mois, ce pays est d’une tristesse qui se trouve aux antipodes de sa nature habituelle !
Je remercie infiniment Christy Moore, d’avoir mis en place ce concert, d’avoir « repris à travailler », et d’avoir permis à des milliers de foyers, en Irlande et ailleurs dans le monde, de mettre un peu de musique live dans notre Samedi soir et dans nos cœurs.
J’ai écrit ces quelques mots spontanément, à la suite du concert, une fois ma fille couchée et endormie avec la chaleureuse voix de Christy Moore qui chantait pour elle, dans sa chambre, et depuis son lecteur CD, en concert très privé.
Etats d’âmes d’actualité que j’ai eu besoin de coucher sur papier, et envie de vous partager ici, comme pour rendre compte, un peu. N’hésitez pas à me laisser un commentaire ci-dessous si vous le souhaitez. 🙂
ça devait être lugubre sans public. Je comprends ta fille qui voulait écouter Lisdoonvarna avec le public et les choeurs.
Tu songes à l’interviewer ?
J’adore cette musique cela donne beaucoup envie. Cela doit être triste les pubs irlandais sans musique. J’aimerais beaucoup visiter l’Irlande !
plusieurs artistes irlandais et autres ont lis en ligne les chansons pendant le confinement j’adore en général , j’ai écouté Cathy du groupe dervish , , Johnny Mc Evoy , entre autres et aussi Joan Baez les Usa qui ne manque jamais de participer quand un probleme ou une cause mondiale se présente merci à eux de nous le faire partager
Oui, Christy Moore l’a fait aussi, depuis chez lui et c’était chouette, un côté intime. Mais la différence ici, c’était qu’il etait dans une salle de concert… vide.