Ce premier Bloody Sunday qui a eu lieu le… 21 Novembre 1920 !
En réalité, ce n’est pas un, mais deux « Bloody Sunday » marquants qui ont eu lieu dans l’histoire de l’Irlande, et celui de 1972 en est le deuxième. Eh oui ! Peu de gens le savent, je sais. 😉
Parce que quand on parle de Bloody Sunday, on pense à U2, inévitablement, et à leur tube planétaire. Sauf que le « Dimanche Sanglant » dont parlent Bono et ses copains, est celui de 1972, qui se déroule pendant la guerre civile en Irlande du Nord.
Aujourd’hui, je vais me concentrer sur le premier notable, qui a eu lieu au début du XXème siècle, un triste 21 Novembre 1920. En 2020, en Irlande, on commémorait donc les 100 ans de cette funèbre tragédie.
Ma source complémentaire principale pour écrire cet article est le documentaire « Bloody Sunday 1920 » de la télévision nationale irlandaise. Y témoignent historiens et descendants des victimes de cette journée, ainsi qu’un ancien milicien britannique.
Le contexte historique
En 1920 en Irlande, nous sommes en pleine guerre d’indépendance. Au début du XXème siècle, l’Irlande fait encore partie du Royaume-Uni et est sous occupation britannique depuis des siècles.
En janvier 1919 cependant, les Irlandais à la tête d’un mouvement de rébellion (dont fait partie un jeune Michael Collins) forment un gouvernement et promulguent la déclaration d’indépendance de la République d’Irlande. Celle-ci n’est pas reconnue par la Couronne britannique.
C’est la naissance de l’IRA, groupe paramilitaire armé irlandais qui s’engage dans une guérilla face au pouvoir et troupes britanniques présents sur l’île.
Les évènements qui ont mené à ce premier Bloody Sunday
Un cercle vicieux s’engage, puisqu’en réponse à la pression de plus en plus présente de l’IRA qui vise des personnes et organisations clés britanniques, le gouvernement britannique de son côté envoie des milices en nombre. Parmi elles, les Black and Tans, qui font partie de la police, et tristement connus pour leurs représailles sur les civils.
Quand l’IRA attaque, les troupes de soldats et milices britanniques rétorquent, et vice versa.
A la campagne, cela ressemble simplement à une guérilla « classique ». A Dublin cependant, se joue également une guerre d’intelligence, d’espionnage, de démantèlement, et de stratège.
Le matin du 21 Novembre 1920, c’est une réponse à des évènements passés la veille que préparent Michael Collins et l’IRA. Ce matin-là, 14 personnes sont assassinées ou meurent de leurs blessures lors d’assaults simultanés menés par l’IRA, en plusieurs demeures de la capitale irlandaise. Les victimes sont principalement des espions et infiltrés britanniques ciblés, mais aussi des civils. C’est le début du « Dimanche Sanglant ».
L’après-midi de ce Bloody Sunday
En 1920, la GAA, qui est l’organisation à la tête des sports gaéliques, est aussi un bastion du nationalisme, et nombre de rebelles et membres de l’IRA s’y retrouvent. Les autorités britanniques le savent.
Ce 21 Novembre, dans l’après-midi, Dublin affronte Tipperary en football gaélique, dans le stade de Croke Park, le stade dublinois dédié aux sports gaéliques. Certains des hommes de l’IRA qui ont participé aux opérations meurtrières du matin y sont présents. Mais c’est avant tout un évènement sportif et populaire, avec des milliers d’Irlandais venus de tous le pays, en famille.
Comme à son habitude, le stade se remplit de quelques milliers de spectateurs pour l’évènement. Un stade en 1920 cependant, vous vous en doutez, ce n’est pas un stade du XXIème siècle. Ce n’est ni plus ni moins qu’un grand terrain de jeu, avec quelques petites tribunes de fortune, le tout ouvert sur le quartier et les rues avoisinantes, facile d’accès.
La suite… Alors que le match vient de commencer, des dizaines de camions britanniques de police et de militaires se dirigent vers le stade et l’encerclent. Ils bouclent les issues. Ce sont les ordres : ne laisser personne sortir, et fouiller chaque individu, afin de trouver les coupables du matin. Les ordres ne sont pas de tirer sur la foule.
Mais des vendeurs de billets et autres guetteurs les voient arriver, se replient dans le stade, poursuivis par les forces armées, qui entrent dans l’enceinte du stade en courant… et ouvrent le feu. Les premiers coups de feu partent, et dureront 90 secondes. Au total, 14 victimes, dans et autour du stade, toutes civiles, dont trois enfants et deux joueurs de Tipperary.
Les gradés réussissent à reprendre le contrôle de leurs hommes, la fusillade s’arrête. Les gens qui sont restés dans le stade seront fouillés, y compris les joueurs de Tipperary (ceux de Dublin ayant à priori réussi à s’enfuir), et aucune arme ne sera trouvée.
Les conséquences de cet évènement, jusqu’à nos jours
Ce triste épisode qu’est ce premier Bloody Sunday (notable et dont on parle encore comme tel aujourd’hui dans les écoles irlandaises), fut l’un des évènements des temps modernes qui contribua en Irlande, à ajouter du ressenti envers les autorités britanniques.
A Cork, une tribune du stade de GAA est nommée Hogan Stand, en mémoire de l’un des deux joueurs de Tipperary tués le 21 Novembre 1920, Michael Hogan, originaire de Cork.
A Dublin, la tribune Nord de Croke park est toujours restée ouverte, même après la modernisation du stade, en mémoire de cet évènement. Le musée de la GAA qui se trouve au coeur du stade relate cet épisode de l’histoire de Croke Park et de Dublin.
En 2007, alors que Landsdowne Road, le stade de rugby, était en travaux, le tournoi des 6 Nations s’est joué à Croke Park. L’Irlande recevait l’Angleterre, la première fois que God Save The Queen serait joué à Croke Park. Lourd de sens, vous comprenez. Un jour marqué dans les mémoires des Irlandais aujourd’hui encore, et une équipe d’Irlande qui ce jour-là, portée par près de 80 000 supporters irlandais, trépassa son rival avec un score final légendaire de 43 à 13.
En 2020, suite aux mesures sanitaires prises avec le COVID-19, le championnat national de football gaélique avait été reporté à l’automne. Dublin et Tipperary jouant chacune leur finale de province le weekend du 21 Novembre 2020, les deux équipes portaient un maillot commémoratif pour les 100 ans de ce Bloody Sunday. Et pour la petite histoire, chaque équipe remporta ce jour-là sa finale !
Une cérémonie commémorative était aussi organisée à Croke Park pour être diffusée le soir du 21 Novembre sur la chaîne publique nationale.
Anecdote personnelle du 21 novembre 2020
Le matin du 21 novembre 2020, vers 9h, je me rends à Croke Park pour y faire quelques photos, principalement pour cet article. Lorsque j’arrive devant l’entrée principale du stade, j’y découvre un groupe d’une vingtaine d’hommes, la plupart vêtus d’un blazer kaki et certains de bérets et casquettes rétros. A peine surprise, je pense d’abord aux préparations de la cérémonie officielle qui aura lieu plus tard dans la journée. Des vélos appuyés contre les murs du stade, quelques sac à dos militaires. Et deux gerbes, en train d’être installées.
Je comprends qu’il ne s’agit en rien d’une cérémonie officielle. Vite évidemment, les regards méfiants se tournent vers moi, femme à l’allure plutôt méditerranéenne. Des hommes de tout âge, certains tout juste sortis de l’adolescence, d’autres septagénaires.
Je demande de manière plutôt solennelle si je peux prendre quelques photos. Oui, me répond-on à l’unisson. Certains « oui » sont polis, mais l’un est enthousiaste, et souriant. Celui d’un jeune homme en fin de vingtaine sans doute, grand, brun corbeau, de grands yeux bleux. Une gueule d’ange avec un bérêt vissé sur la tête. Non, ce n’est pas Cillian Murphy.
Je ne m’éternise pas et les laisse à leur mémoire. Sous la pluie, je traverse le canal pour aller faire quelques photos supplémentaires, 200 mètres plus loin. Sur le pont, alors que je suis à faire une photo, une voix d’homme m’interpelle. Il sait bien pourquoi je prends une photo, à cet endroit, aujourd’hui.
– Tu sais, les deux enfants qui ont été tués juste là ?
Je me retourne surprise vers un quarantenaire plutôt énervé, qui passe derrière moi en direction du stade, en ralentissant à peine son pas.
– Oui, juste là, fais-je en pointant du menton en contrebas, au pied du stade, sur les berges du canal.
– Oui, ces deux enfants, ce sont sans doute des Irlandais qui les ont tués ! Sans doute ! Oui, des Irlandais qui les ont tués, que tu le croies ou non !
Et il a continué son chemin, me laissant ainsi. Je me demandais s’il interpellerait « les hommes de l’IRA » avec autant de véhémance, deux cent mètres plus loin… 100 ans après, les tensions sont encore vives semble-t-il.
Le temps de faire quelques photos supplémentaires au bout de la rue, et je suis revenue sur mes pas, en direction de Croke Park. Je suis arrivée pile au moment où les hommes se dispersaient, d’un coup, en vélo pour la plupart, dans toutes les directions. Je me suis aperçue à ce moment là que la plupart étaient vêtus à la mode des années 20, bretelles, pantalons de toile, cravates, chemises blanches, en plus des bérets. Scène surréaliste, je me suis crue l’espace d’un instant dans un film historique.
Tout cela ne dura qu’à peine 10 minutes.
Si cela vous intéresse, je vous invite à visionner la courte vidéo que j’ai faite pour comprendre simplement la situation de l’Irlande aujourd’hui, dans son contexte géopolique.
Quant au deuxième Bloody Sunday, celui de U2, je vous en parlerai peut-être dans un prochain article ! 😉
Dites, en fait, vous saviez qu’il y avait 2 Bloody Sunday qui ont marqué l’histoire de l’Irlande ? Laissez vos réponses en commentaires ci-dessous. 😉
Et si vous voulez aller plus loin sur l’Irlande, je vous offre mon petit livre numérique (formulaire ci-dessous pour le recevoir).
Très intéressant ! Je l’ignorais totalement, j’ai appris quelque chose, merci beaucoup !
Avec plaisir Orianne, et c’est bien pour ça que je tenais aussi à en faire un article, et parce que c’est un évènement important de l’histoire moderne irlandaise. 🙂
Je ne savais même pas ce que c’était. Je n’écoute pas U2 🙂
Merci de nous en apprendre toujours un peu plus sur ton pays de coeur
Merci pour ton suivi assidu, Petit Lutin ! 😉
Non je ne savais pas qu’il y en avait deux, merci pour cette découverte et pour ton site que j’aime beaucoup parcourir.
Merci pour ton commentaire Gallia, ça me fait plaisir. 🙂
Merci pour ce très bel article ! Je connaissais cette histoire mais pas aussi bien racontée. La scène qui s’est déroulée sous vos yeux 100 ans plus tard, comme une fenêtre sur le passé, est incroyable. J’en ai eu des frissons…
Merci Chloé, et merci d’avoir relever effectivement cette scène que j’ai vécue 100 ans plus tard devant Croke Park, et qui m’a suivie toute la journée… Vraiment surréaliste !
Bravo pour ton travail (dans le bon sens du terme) ! Bien entendu j’ai été sensibilisé par cet article et je me suis souvenu, huit années plus tard, de notre entrée dans un pub du Bogside, à Derry : dès que les clients nous ont vus, un silence inquiet s’est soudain établi, et une fois que nous commencé à parler en français le brouhaha et les sourires ont de nouveau repris le dessus. Sacrée impression sur le coup !
Merci G..B 🙂 Oui, toujours faire attention a ce qu’on dit en public, et a qui on le dit… Quand on est de passage, il y a des lieux où c’est plus perceptible qu’ailleurs effectivement. 😉