La République d’Irlande est un pays encore profondément catholique, un pays où la religion fait partie du quotidien et de la vie de nombreux Irlandais, pratiquants réguliers qui s’investissent souvent d’une manière ou d’une autre autour de leur paroisse. Les temps changent, certes, mais dans les campagnes (la majorité du territoire), la vie de la paroisse et celle de la communauté sont intimement liées. Une religion qu’on ne peut pas ignorer si l’on veut comprendre l’Irlande d’aujourd’hui, et toute la vie sociale irlandaise qui s’articule autour.
Il me semblait donc évident dans le cadre de ce Tour d’Irlande, de rencontrer, et d’écouter, une personne religieuse, dédiée à sa foi et à la religion catholique.
Je ne pensais pas cependant que cela allait me mener dans un couvent, à la rencontre non pas d’une, mais de trois personnes. Trois religieuses, qui ont gentiment accepté de donner de leur temps pour me rencontrer et répondre à mes questions, dans l’enceinte du Poor Clare Monastery, dans la ville de Carlow, chef-lieu du comté du même nom. Le comté de Carlow est l’un des trois plus petits comtés de l’île en termes de superficie, avec ceux de Dublin et de Louth.
A propos des nonnes de Poor Clare (Les Clarisses) de Carlow
L’Ordre des Poor Clares, en Français l’Ordre des Clarisses, a été fondé aux XIIIème siècle par Ste Claire d’Assise, disciple de St François d’Assise.
Dans la lignée de Saint François d’Assise, elles ont la particularité de s’engager à une vie de pauvreté, par choix, et de vivre au plus près de l’évangile. C’est pour cela qu’elles ne travaillent pas contre rémunération et ne collectent pas de fonds de quelque manière que ce soit. Leur subsistance repose sur les dons privés.
J’ai d’ailleurs découvert que Carlow accueillait une autre communauté franciscaine, celle des Frères Capucins (Capuchin Friary).
Les sœurs m’ont également raconté l’anecdote et l’histoire de leur couvent, ainsi que de l’église adjacente. Les Poor Clares sont arrivées à Carlow en 1893 et les religieuses ont vécu 7 ans dans une petite maison avant d’être acceptées et de voir leur monastère être construit en 1900 sur un site acheté à cet effet par un businessman local. L’église paroissiale à l’époque était en mauvais état mais à la même époque, l’église Sainte Anne (Church of Ireland, protestante) à l’autre bout du town n’était plus utilisée. Les fermiers du village l’ont donc déconstruite, pour emmener les pierres unes à unes à travers la rivière Barrow qui traverse Carlow, et reconstruire l’église actuelle, l’église Sainte Clare, adjacente au monastère.
– C’est donc l’église qui a été construite sur le sol du monastère, et non l’inverse, ajoute l’une des sœurs.
Un peu plus de mon entrevue avec les sœurs
Avant d’arriver, je m’attendais à trouver de grands murs d’enceinte derrière lesquels vivrait la communauté des religieuses de Carlow, mais le couvent est en fait sur le bord d’une rue, attaché physiquement à une église, devant laquelle se trouve un parking pour les fidèles. Il y a un jardin et un espace extérieur d’un demi hectare derrière le bâtiment à étage qui forme le couvent. Les sœurs y font pousser fleurs et légumes et elles ont aussi des espaces pour marcher et faire du vélo.
On m’avait dit de sonner à l’interphone du couvent lorsque j’arriverais à l’heure convenue pour notre rendez-vous. Je ne sais cependant pas vraiment avec qui j’ai rendez-vous. Tout ce que je sais, c’est que « quelques sœurs » ont accepté de répondre à mes questions.
Je m’annonce :
– Bonjour, c’est Lily, la French lady. Je pense que vous m’attendez.
– Oui, entrez, je vous rejoins dans la pièce sur la gauche.
Je pousse la porte et l’intérieur sobre rappelle celui d’une église, aussi par ses matériaux : murs pâles uniformes et bois, partout.
Les mesures Covid sont là pour me rappeler entre autres de me désinfecter les mains, et une table en travers de la porte ouverte sur la gauche m’empêche de pénétrer dans la salle. Une sœur apparaît derrière la vitre au fond du grand parloir encadré de bois d’église, et me dit de continuer tout droit, jusqu’à la salle Sainte Clare au fond du couloir.
Le long couloir aux portes ouvertes sur ce qui me semble être des parloirs (tous vitrés) mène sur une porte fermée sur laquelle est indiqué « St Clare ». Je pousse la porte et entre dans une grande pièce, au fond de laquelle se trouve là aussi un parloir vitré, encadré de bois, qui prend toute la largeur de la pièce.
J’attends debout quelques instants, et la sœur qui m’avait accueillie apparaît à nouveau derrière la vitre. Elle m’invite à m’asseoir sur la chaise mise à disposition de mon côté de la cloison. C’est Sœur Rosario, lumineuse de son sourire dans sa tenue voilée de noir et blanc.
Et puis arrive une autre sœur, plus jeune. C’est Sœur Analiza. Et enfin une troisième sœur, Sœur Dominic. C’est avec elles trois donc que je converserai tout un moment, et ce sont elles qui ont accepté de répondre à mes questions dans le cadre de mon projet.
Ce qui se dégage de ces trois femmes assises face à moi, et que je ressentirai tout du long de notre entretien, c’est la douceur et la gentillesse, leurs sourires permanents et regards bienveillants qui me touchent encore en écrivant ces mots. Dans ma vie de non nonne citadine (et accessoirement non-catholique), je n’ai pas l’habitude d’autant de douceur quand je converse avec quelqu’un. Et cela fait un bien fou, je l’avoue.
Sœur Rosario est originaire du comté de Carlow, « a une vingtaine de milles d’ici ». Elle est entrée dans la communauté des Poor Clares le 27 septembre 1963 et a prononcé ses vœux solennels 5 ans plus tard, le 30 septembre 1968.
Sœur Dominic est originaire des environs également, à environs 11 milles d’ici, mais d’un comté voisin : celui de Kilkenny. Elle est arrivée dans l’enceinte du couvent le 8 septembre 1964 et a prononcé ses vœux le 15 septembre 1969.
Sœur Analiza quant à elle vient de bien plus loin. Originaire des Philippines où elle est officiellement entrée dans les ordres le 11 mai 2002 après avoir prononcé ses vœux solennels. C’est donc aux Philippines qu’elle a rejoint la communauté des Poor Clares (ordre religieux réparti partout dans le monde) avant d’être envoyée au couvent de Carlow, en Irlande.
La communauté des nonnes de Poor Clare de Carlow compte 10 religieuses, ce qui en fait une très petite communauté (les Poor Clares ne sont en général jamais de grandes communautés). Deux d’entre elles sont originaires de Kilkenny, deux viennent de Carlow, deux des Philippines, les autres sœurs viennent des comtés de Laois, Antrim, Sligo et Galway.
Quand je leur demande quelles sont leurs occupations quotidiennes, la réponse de Sister Rosario est simple :
– Prier est ce que nous considérons être notre travail. Nous vivons enfermées et ne sortons pas du couvent. Nous n’allons pas à l’extérieur pour enseigner par exemple. Prier est ce que nous faisons le plus, avec l’adoration du Saint-Sacrement. Nous répondons aussi à un grand volume de lettres, et nous consacrons aussi notre temps au jardinage et aux tâches ménagères. Beaucoup de gens viennent régulièrement pour des prières pour des intentions diverses et variées. Ils savent que nous portons leurs demandes devant le Seigneur.
Les sœurs ne sortent du couvent que pour raisons médicales, si elles ont besoin de voir un docteur, ou un dentiste par exemple. Et pour leur devoir civique, lors des votes.
– Nous assistons à la messe tous les matins à 10 heures, et à 9h le Dimanche matin en ligne. Nous avons notre propre espace dans l’église, séparé par une vitre. Ce qui fait que le confinement du Covid-19 n’a pas vraiment changé nos habitudes.
Quant aux parloirs vitrés que j’ai aperçus en entrant, et celui-là même auquel je suis assise, ils sont le fait d’une situation sanitaire exceptionnelle à cause du Covid-19.
Mais je comprends que si elles ne sortent pas du couvent, elles font pour autant partie intégrante de la communauté locale, ici, à Carlow. Les messes quotidiennes auxquelles elles assistent sont les messes de l’église de la paroisse, où les locaux viennent aussi prier. Elles chantent parfois pour les messes de funérailles et participent à la plupart des liturgies de la paroisse.
Et comme dans toutes les paroisses d’Irlande pendant la pandémie, les messes quotidiennes ont eu lieu en ligne, sur le net.
– On disait aussi le rosaire en ligne, tous les jours, à 11h40, jusqu’au mois de mai (ndlr – 2021, fin du confinement strict irlandais).
– Vous aviez déjà fait des messes ou prières en ligne avant le confinement ?
– Nous chantons toujours durant les messes, qui sont aussi tenues en ligne depuis quelques années. C’était seulement pendant le confinement qu’on nous a demandé de prier le rosaire en ligne, pour garder contact avec les gens.
Il y a un côté moderne qui me surprend chez ces sœurs, et auquel je ne m’attendais pas. Elles communiquent par e-mail, elles ont un site web, une page Facebook, et on les trouve même sur des vidéos Youtube ! Je sais que c’est assez commun en Irlande, où l’Eglise Catholique s’est adaptée et utilise les moyens de communication moderne pour rester proche de ses fidèles. Tout de même, ça me surprend, moi qui ai gardé l’image archaïque de l’Eglise catholique en France (de par mon expérience).
Les visites sont autorisées également, sur des créneaux bien précis, et je me suis aperçue en sortant, en voyant l’écriteau sur la porte extérieure, qu’elles avaient accepté de me recevoir en dehors de ces horaires, pour accommoder les miennes, certainement.
Une cloche sonne. L’heure de la prière, me dis-je, parce que je sais qu’elles devront me laisser pour la prière de 16h30.
Avant de les quitter, elles m’ont offert des présents à travers l’espace prévu pour les échanges en bas de la cloison vitrée. Elles ont tenu à ce que je laisse un mot dans le livre des visiteurs qu’elles me tendent. La dernière date que j’y vois date de décembre 2019. Je ne trouve pas les mots à la hauteur de leur gentillesse et de leur générosité mais en griffonne tout de même quelques-uns pour laisser une trace de mon passage.
C’était une interview particulière sans doute, pas tous les jours que je parle à des religieuses et que je me rends dans un couvent. Mais je me suis sentie très à l’aise avec elles, et dans ce lieu qui ne m’est pas familier.
J’ai quitté les lieux accompagnée d’un sentiment de douceur et de joie, qui m’a suivie pour le reste de la journée, passée à gambader dans les montagnes environnantes du joli comté de Carlow (photos sur le compte Instagram @racontemoilirlande).
Comme toujours, les photos publiées en ligne le sont avec l’accord des participants, ici de Sœur Rosario, Sœur Analiza, et Sœur Dominic, que je remercie sincèrement, et profondément, pour tellement plus que cela.
Je suis curieuse d’avoir vos réactions sur ce qui fut la 10ème interview de ce tour d’Irlande en 32 interviews (1/comté). N’hésitez pas à la partager si vous l’avez trouvée utile et/ou intéressante. 🙂
Hello… encore un beau moment avec vous … j’espère bien passer les voir, prier avec elles pour mes chers disparus et gagner en sérénité ! Bonne continuation… cordialement
Merci Yveline. Carlow est très facilement accessible, le long de l’autoroute M9, à 1h15 de route de Dublin. Bus et trains le désservent aussi. 🙂
Elles respirent la joie de vivre et la gentillesse
Oui, vraiment. 🙂
Magnifique rencontre ! On sent vraiment l’émotion dans vos articles ! Merci ! A 7 semaines de peut être revoir l’Irlande ( on croise les doigts pour la levee de la quatorzaine le 19 juillet !), ça fait un bien fou ! En revanche, j’ai du rater quelques rencontres parce que vous en êtes déjà à 10 ? ! Ou puis je rattraper mon retard ?
Merci encore
Je croise les doigts pour vous. 🙂 Vous trouverez tous les portraits publiés dans le cadre de ce Tour d’Irlande ici : https://raconte-moi-l-irlande.com/tag/tour-d-irlande-en-interviews/ et pour être sure de voir les prochains, il y a la page Facebook Raconte-moi l’Irlande ou la newsletter mensuelle (où j’y récapitule entre autre tous les articles publiés depuis le mois précédent). 🙂