Le nom de Bobby Sands vous dit probablement quelque chose, même si l’histoire de l’Irlande n’est pas forcément votre spécialité. 🙂 En effet, Bobby Sands est connu pour sa grève de la faim dans le contexte de guerre civile en Irlande du Nord (« les Troubles »), et plus particulièrement pour en être mort, en prison, le 5 mai 1981. Un évènement largement médiatisé à l’international, de Cuba à l’Australie, en passant par toute l’Europe évidemment.
Mort à 27 ans, Bobby Sands a passé le tiers de sa vie en prison.
Mais qui était Bobby Sands ? De quel milieu venait-il ? Quel était son combat, ses engagements ? Voici un article pour vous en dire un peu plus à son sujet, une première approche au sujet de l’un des activistes nord-irlandais le plus (tristement) célèbre de son époque.
Rappel lexical :
- Nationaliste / Républicain = généralement catholique, en faveur d’une Irlande Unie.
- Unioniste / Loyaliste = généralement protestant, en faveur du Royaume-Uni incluant l’Irlande du Nord, attaché à la monarchie britannique.
L’histoire de l’île d’Irlande et la situation de l’Irlande du Nord aujourd’hui vous intéressent ? Allez voir la vidéo que j’ai faite pour comprendre simplement la situation de l’Irlande aujourd’hui. Et pour une autre approche des confilts en Irlande du Nord, je vous recommande la série Derry Girls dont j’ai fait un article très détaillé sur le blog. Vous pouvez le lire en cliquant ici.
Les photos de Bobby Sands utilisées pour cet article sont issues du site Bobby Sands Trust. La photo d’illustration de l’article est une photo personnelle d’une fresque dublinoise.
La jeunesse de Bobby Sands
Robert « Bobby » Sands naît en 1954 et grandit dans un ghetto Nationaliste du Nord de Belfast, Rathcoole. Il décrit lui même ce quartier comme ghetto, car entouré par des quartiers majoritairement Loyalistes.
Dès son plus jeune âge, il évolue donc dans une famille et une époque marquées par les conflits entre les deux communautés, le sectarisme, et des soldats britanniques omniprésents. Ses parents catholiques ont eux-mêmes grandi avec la haine des forces spéciales britanniques qui étaient déjà présentes en Irlande du Nord à leur époque.
Alors qu’il n’a que 10 ans, et l’aîné d’une famille de quatre enfants, la réalité de l’époque à Belfast le touche directement, sa famille étant obligée de déménager sous la pression et l’intimidation Loyaliste.
De cette époque, Bobby Sands écrira plus tard « j’étais un simple garçon de la classe ouvrière d’un ghetto Nationaliste, mais c’est la répréssion qui a créé l’esprit révolutionnaire de liberté. »
La guerre civile en Irlande du Nord, qu’on appelle communément « Les Troubles d’Irlande du Nord », débute en 1968, lorsque Bobby Sands a 14 ans. Pour autant, Bobby Sands grandit en cotoyant des amis catholiques comme protestants.
A 15 ans il entame un apprentissage pour devenir carrossier, avec des collègues majoritairement protestants. Intimidations et harcèlements seront son quotidien jusqu’à ce qu’un jour, il soit pris en embuscade par ses collègues, le menaçant avec des armes. Une note dans sa boîte à déjeuner du midi le jour-même finira de le dissuader de revenir travailler. A peu près à la même époque, et après des mois d’intimidation, sa famille doit à nouveau déménager, cette fois-ci pour les quartiers Ouest de Belfast, les quartiers catholiques.
L’engagement politique de Bobby Sands
C’est aussi à cette époque que Bobby Sands commence à s’engager et mener des actions concrètes contre les forces britanniques avec la conviction que désormais seul le combat mènera à la libération de son pays et à un état souverain et indépendant. Ses cousins se font arrêter et emprisonner, et il se dit qu’il faut qu’il s’engage lui aussi. A 18 ans, il rejoint donc le Mouvement Républicain, ou Provisionnal IRA et sera arrêté la même année pour détention d’armes chez lui.
C’est donc à l’âge de 18 ans qu’il est emprisonné pour la première fois… Pendant 4 ans. Il en profitera pour beaucoup lire mais aussi apprendre l’Irlandais. Pendant ces années, Bobby Sands a le statut de prisonnier politique (gagné à la suite d’une grève de la faim menée par 40 prisonniers irlandais pendant 35 jours). Cela lui confère notamment le droit de se réunir avec les autres prisonniers politiques (de l’IRA), de ne pas porter l’uniforme carcéral, et d’être exempt des tâches habituelles des prisonniers communs.
Il est relâché en 1976. Dès sa remise en liberté, il s’implique dans des actions sociales pour les quartiers catholiques de Belfast, et reprend ses activités paramilitaires au sein de la Provisional IRA.
Il se fait à nouveau arrêter la même année, impliqué dans une attaque terroriste à Dunmurry, un quartier de Belfast. Il est arrêté et incarcéré. Il est condamné à 14 ans de prison pour détention d’arme, non pour être l’auteur de l’explosion. Il ne sortira plus jamais de prison.
Son dernier emprisonnement
Lors de ce dernier emprisonnement, Bobby Sands a participé à plusieurs actions contestataires collectives avec d’autres prisonniers de l’IRA. En 1976, le statut de prisonnier politique est retiré aux prisonniers de l’organisation paramilitaire irlandaise. Nous entrons ensuite dans l’ère Thatcher, et la Dame de Fer voit d’un mauvais oeil ces révoltes des prisonniers républicains en Irlande du Nord. Les premières années, ces protestations n’attirent pas beaucoup l’attention de l’extérieur.
Quant à l’incarcération de Bobby Sands, après avoir passé quelques jours dans la prison corrective de Crumlin Road à Belfast, il est envoyé à Maze Prison, aussi connue sous le nom de H Blocks (pour la forme de ses bâtiments) ou Long Kesh. Là, il se joindra à la contestation des Couvertures, ou Blanket Protest. Il fait parti des près de 300 prisonniers à qui on refuse le statut spécial de prisonniers politiques, et qui choisiront d’être nus, vêtus d’une simple couverture, plutôt que de porter l’uniforme de prisonnier commun.
C’est aussi pendant ces années d’emprisonnement à Long Kesh qu’il écrira poèmes, chansons et prose, publiés pour la plupart dans le journal républicain An Phoblacht (« La République » en gaélique).
L’ultime grève de la faim de Bobby Sands
C’est le 1er mars 1981 que Bobby Sands commence cette grève de la faim, qui lui sera fatale. Il se porte volontaire pour mener cette nouvelle protestation (et la commencer deux semaines avant les autres) afin que les prisonniers républicains obtiennent le statut spécial qu’ils demandent. A cette époque, Bobby Sands est l’un des leaders des prisonniers de l’IRA à Long Kesh.
Il sait déjà qu’il ira jusqu’à la mort dans cet engagement, comme il l’écrit dès le 8ème jour de cette grève de la faim sur son journal de bord qu’il tient les 17 premiers jours :
« Maintenant allongé sur ce qui est vraiment mon lit de mort, j’écoute encore les corbeaux noirs. »
Le lendemain de ces mots, Bobby Sands « fête » seulement ses 27 ans.
Dès ces premiers jours de grève, et encouragé par les siens pour faire lumière sur son acte de rébellion, Bobby se porte candidat pour l’élection de député du parlement britannique pour la circonscription de South Tyrone/Fermanagh. Une campagne qui sera donc fortement médiatisée et mettra en lumière la grève de la faim de Bobby Sands. Ses proches et supporters espèrent ainsi que cela fera flancher le gouvernement britannique.
Il est emmené à l’hôpital carcéral de Long Kesh le 23 mars. Et élu député de sa circonscription le 9 avril 1981. Pour autant, il est lucide sur son sort et sait déjà que cela ne suffira pas à le sauver.
Il meurt le 5 mai 1981, après 66 jours de grève de la faim.
Suite à sa mort
La mort de Bobby Sands le 5 mai 1981 a fait comme une onde de choc médiatique, qui s’est éténdue bien au-delà de l’île d’Irlande. Mais en Irlande du Nord, où la situation était déjà critique, cela a provoqué nombre d’affrontements et de violences supplémentaires.
Les déclarations du gouvernement Thatcher n’ont fait qu’envenimer la situation, la Première Ministre déclarant que « Bobby Sands était un criminel reconnu coupable. Il a choisi de se suicider, un choix que son organisation [ndlr L’IRA] ne permet pas à ses victimes.«
On estime à 100 000 les personnes s’étant déplacées pour rendre hommage à Bobby Sands lors de ses funérailles.
Trois autres prisonniers décédèrent dans les deux semaines qui suivirent la mort de Bobby Sands, le gouvernement Thatcher refusant de céder. Il ne cédera pas, et 6 autres détenus républicains décèderont jusqu’en juin 1981, portant le total au nombre de 10. Il faudra l’intervention des familles des grèvistes pour que ce mouvement cesse, le gouvernement britannique campant toujours sur ses positions.
Bobby Sands et ses engagements ont eu des répercutions conséquentes sur la suite de l’Histoire en Irlande du Nord. Certains considèrent sa grève de la faim et son dénouement comme le début du cheminement qui a mené aux accords de paix en 1998.
Aujourd’hui en Irlande, Bobby Sands est considéré comme héros et martyr pour les uns, et terroriste pour les autres.
J’ai écrit cet article sur Bobby Sands de manière volontairement succinte, pour vous permettre une première approche pas trop indigeste (je l’espère 🙂 ) d’un pan de l’Histoire irlandaise moderne, avec un nom qu’on croise encore souvent, y compris dans chansons, livres, ou films.
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques et commentaires ci-dessous, et à partager cet article si vous l’avez trouvé interressant. 🙂
« Et qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps
D’avoir à choisir un camp » (JJG)
En lisant cet article, on ne peut être que ému de constater qu’il y avait des êtres humains capables d’offrir leur vie à une cause, fort juste.
Quand on dit que les femmes au pouvoir sont automatiquement plus douces que les hommes, il faut donc se souvenir de Margaret Thatcher, alors que Mitterrand, en France, libéra un terroriste iranien après qu’il eût fait quelques jours de grève de la faim
« A part bien sûr Madame Thatcher »… 😉
Aurélie,
Je me replonge dans « mes » années irlandaises (entre 78 et 81) en tant qu’animateur avec le CYC (principalement à Coolure House – Castlepollard – Co.Westmeath) ; et comme tu l’écris si justement dans un de tes ouvrages sur le us et coutumes des comptoirs des pubs (!) Ces « troubles » étaient soigneusement évités dans les discussions entre animateurs et jeunes des quartiers défavorisés dublinois.. Notre responsable insistait souvent sur l’importance d’éviter de « mettre de l’huile sur le feu » avec des jeunes déjà trop fragilisés… Les « Brits » faisaient plus souvent l’objet de moqueries adolescentes que d’ennemi en puissance. On laissait faire en se disant que le moins pire était meilleur que l’engrenage de violence…
40 ans après j’échange sur le sujet bien pus librement avec mes anciens condisciples irlandais… bien sûr ils ont mûris et croient avec une sorte de nonchalance que l’histoire est en marche depuis bien des décennies et qu’aucune politique ne pourra empêcher l’incontournable établissement d’une seule nation ; ne serait-ce que par évolution démographique, métissage religieux, croissance de l’agnosticisme, ou encore plus simplement, réalité quotidienne économiques…
Mais les réflexes obtus ont la peau dure et les évènements de ces dernières semaines aux portes de la paix ne sont pas pour réjouir les plus optimistes. En 2019 (donc 1 an avant le Brexit), une vieille famille britannique (dont les parents et grand-parents étaient officiers dans l’armée britanniques) dans l’âme rencontrée à Eglinton (Derry Est) semblait déjà désabusée (parents comme enfants, les petits-enfants étant trop jeunes pour émettre des opinions construites …).
Les plus vieux savaient qu’ils finiraient leur vie ici sur la terre de leur ancêtres « britanniques » ; les enfants eux se préparaient à « rester britanniques » en terre irlandaise… le loyalisme ne semblait plus faire recette (du moins dans la famille en question).
Je sais que – maîtrise du Covid aidant – notre prochain périple irlandais nous ramènera à nouveau vers beaucoup de nos « pals », mais je ne sais même plus si je pourrai retourner, serein, divaguer sur les chemins d’Antrim (Co.).
Et d’ailleurs en aurai-je le droit ?
Une chose est sûre, beaucoup de nos amis irlandais sont tombés sous le charme de la chanson de Tibz « We are from the North, We came from the South ; We are all The Nation »
Et bien je ne connaissais pas cet homme. Merci pour ce récit.