20 décembre. Je pars, seule, pour deux jours de randonnée au sein du Parc National des Monts Wicklow. Deux jours et une nuit, à randonner et bivouaquer au cœur du plus grand parc national irlandais. Je pars avec ma tente sur le dos, et l’intention d’y dormir. Un bivouac de Noël que je m’offre avec des conditions météorologiques annoncées comme parfaites : froides, ensoleillées et surtout, sèches.
Préparation et logistique
J’ai choisi pour cette petite itinérance à pied de ne pas m’encombrer de voiture afin d’avoir l’esprit libre et serein. Il a donc fallu que je pense en terme de logistique pour faire mon parcours sur mesure, dépendante des dessertes et horaires de bus pour le point de départ comme d’arrivée. Le bivouac est autorisé dans le Parc National des Monts Wicklow, en dehors des zones précisées sur le site officiel du parc national. Considérant ces contraintes, et d’autres, et après quelques cheveux arrachés, ce sera donc départ à Kilmacanogue, et arrivée dans le village de Roundwood, une quinzaine de kilomètres plus au Sud, à vol d’oiseau. Je trace mon parcours approximatif à l’aide des cartes que j’ai, une partie à suivre le chemin balisé du Wicklow Way, principalement sur la deuxième journée. J’ai surtout envie de me laisser différentes options, en fonction de la forme, de l’envie, de la météo. Deux sommets pour sûr sur le parcours : Le Great Sugar Loaf, et Djouce.
Sur le dos, le nécessaire pour la nuit en bivouac évidemment mais également nourriture et eau pour une totale autonomie : je ne traverserai aucun village entre Killmacanogue et Roundwood. Des grands espaces uniquement, ceux du Parc National des Monts Wicklow. Le pied !
Jour 1 : Randonnée dans les Wicklow via le Great Sugar Loaf, cascade de Powerscourt et coups de soleil
Le ciel est teinté de rose vif quand j’arrive à Kilmacanogue. Je me suis levée tellement trop tôt ! me crie mon corps avant même de commencer. C’est que la nuit tombera vite, nous sommes le 20 décembre, et je veux optimiser ma journée de marche. Alors, mon corps, tu dormiras une prochaine fois.
Quand on randonne dans les Monts Wicklow, et qu’on s’arrête ou passe par Kilmacanogue, c’est en général pour une raison bien précise : monter au sommet du Great Sugar Loaf, au nom évocateur. Un tas de sucre. Sa forme certainement distinctive fait qu’on le remarque de loin, facilement. Isolé des autres sommets, il donne d’ailleurs souvent l’impression d’être plus haut qu’il ne l’est en réalité. 500 mètres d’altitude en son point culminant, une colline pour les montagnards continentaux. 😉 Mais quand on part de Kilmacanogue, et bien on fait en 3 kilomètres plus de 400 mètres de dénivelé positif pour atteindre son sommet. Et quand on a tente, sac de couchage et nourriture sur le dos, on les sent bien ces quelques centaines de mètres d’ascencion ! 😉 Surtout lorsque c’est l’un de ces matins où votre corps peine à se réveiller et se demande bien ce qu’il fait là, par ce froid glacial, à quelques jours de Noël !
Froid glacial, mais terre inondée de soleil. Au loin, au-delà de la plaine et des prairies qui s’étendent depuis les flancs du Great Sugar Loaf, les sommets des Monts Wicklow sont encore revêtus d’un duvet blanc ouaté. Les prairies scintillent de leur vert givré, moutons et chevaux y paissant paisiblement. Les seuls êtres vivants de mon champs de vision, les seuls êtres vivants que j’apercevrais depuis cette montagne.
Le Great Sugar Loaf est un mont qui m’est particulier. Ce fut effectivement la destination de ma toute première randonnée en Irlande, et en solitaire. Première tentative tout du moins, car ce jour-là, il m’était tombé des seaux d’eau sur la tête, et j’avais dû faire demi-tour, incapable de trouver le sentier à suivre tant les conditions étaient mauvaises voire dangereuses (je ne voyais pas le sommet !). Ce fut aussi, il y a quelques années, la destination de ma dernière randonnée Irlandaise avant un bon bout de temps. J’étais alors enceinte de 5 mois. Ces souvenirs émus me reviennent ce matin encore, alors que je m’engage dans l’ascencion, son sommet sur ma gauche.
Le sentier est plutôt rocailleux, ce que j’apprécie, car avec les déluges qui sont tombés ces deux derniers jours, je me passe volontiers d’un terrain boueux où je risquerais de glisser et me faire mal avec le poids de mon sac à dos. Sur la dernière centaine de mètres, je me retrouve même sur un pierrier abrupte où j’ai besoin d’utiliser mes mains jusqu’à la cheminée étroite juste avant d’arriver en haut.
Mais j’aurai le sommet du Great Sugar Loaf pour moi toute seule, chose rare. Le weekend, il est assez prisé car facile d’accès avec parkings alentours et on y emmène volontiers bambins et compagnons à quatre pattes. Pas aujourd’hui. J’aurai la vue sur la Mer d’Irlande toute proche à l’Est, et sur l’immensité verte et rousse à l’Ouest, une mosaïque de prairies, puis au loin, les collines et monts du parc national. Quelle vue ! Avec un vent transperçant bien entendu, mais bonnet vissé sur la tête et gants jusqu’aux aisselles, je prendrai le temps de profiter de ce panorama incroyable. C’est l’une des choses que j’adore quand je randonne en Irlande : même en haut d’une « montagne », on a toujours vue sur l’océan, souvent tout proche.
La redescente se fait toujours sans croiser d’humains. Moutons sur les bords de la route, et toujours ce soleil qui tape sur mes pommettes, même s’il n’est pas très haut dans le ciel à cette saison. Je regarde la carte, et l’heure, et décide de couper par les bois pour passer par la cascade de Powerscourt. La lumière pénétrante à travers les pins avant d’arriver au pied de la cascade est simplement magique. Personne là non plus (quelques voitures sur le parking, abandonnées sans doute par leurs propriétaires randonneurs que je ne croiserai pourtant pas), et une cascade qui gronde avec son humeur hivernale. Je repartirai vers l’Ouest, grimpant à travers les bois, jusqu’à atteindre un mont roux et chauve : Maulin, mon point culminant de la journée.
A cette époque en Irlande, il fait nuit de bonne heure. Surtout la veille du jour le plus court de l’année. J’en ai plein les bottes, mes joues me brûlent (qui miserait sur le fait d’attraper des coups de soleil un 20 décembre, en Irlande ?). Il est temps d’installer le bivouac pour la nuit. Je n’ai vu personne de la journée. Je n’ai parlé qu’aux rares moutons croisés sur mon chemin entre le Sugar Loaf et la cascade de Powerscourt. Grand kiffe ces quelques heures au grand air en ma compagnie, à randonner en cette belle journée d’hiver en plein Parc National des Monts Wicklow, région d’Irlande que j’aime particulièrement.
Nuit et bivouac au coeur du Parc National des Monts Wicklow
Je ne traine pas pour installer ma tente, car je sais qu’une fois la nuit tombée, il va faire très froid. Vraiment très froid. Je m’installe non loin du Wicklow Way (évidemment pas sur le sentier), à l’abri des regards et abritée du vent, je l’espère, entre un muret de pierres et quelques jeunes conifères. Coucher de soleil magnifique, les monts qui m’entourent sont en feu. C’est simplement splendide d’avoir ce décor en papier peint… Dans ma cuisine du jour. Je prépare mon diner sur ma popote. Un repas chaud avant la nuit qui sera longue. La plus longue de l’année. 16h, c’est nuit noire. Pas un nuage, je vois le milliard d’étoiles de mon hôtel de luxe s’allumer une à une. Je ne reste pas longtemps à les admirer, le froid me transperce, même si les conditions sont exceptionnelles. Pas un souffle de vent. Silence absolu.
Transformée en momie dans mon sarcophage en duvet d’oie, je dormirai par tranches de micro-sommeil, le froid venant me réveiller de temps en temps. A chaque réveil, le silence de cette nuit au coeur des Monts Wicklow me stupéfiera. Je ne m’attendais certainement pas à ce calme nocturne, même si la météo avait été parfaite dans la journée, et que Met Eireann en annonçait de même pour le lendemain. Tout de même, à quelques centaines de mètres d’altitude, au coeur de ces monts où la météo est plus que capricieuse à longueur d’année, une nuit de décembre… Quelle surprise !
Ce sont les voix de quelques joggers et randonneurs qui passeront sur le sentier qui me réveilleront, vers 9h. Quel bonheur de dézipper la tente, et de se retrouver face à ces montagnes déjà baignées de soleil. Plus bas, j’entends le cours d’eau qui ruisselle. Que c’est beau ! Et toujours aussi calme.
Jour 2 de randonnée : Djouce, Lough Tay et Guinness à Roundwood
Avant même de sortir de mon sac de couchage, les douleurs aux épaules et aux jambes se font déjà sentir. Cette deuxième journée de marche étant plus courte que la veille, je devrais survivre, me dis-je. C’était avant d’entammer l’ascencion de Djouce, le terrible. Au réveil, depuis ma tente, je le voyais bien dégagé, ciel parfaitement bleu mais, bien évidemment, quand je suis arrivée là-haut, 725 mètres au-dessus du niveau de la mer, je me suis retrouvée dans la purée de pois, la tête dans les nuages. Pas de vent mais très froid, aucun repère visible en 360 degrés avec ce mur blanc opaque, et peut-être la fatigue de la veille par dessus tout ça… Je me retrouve totalement désorientée, incapable de savoir par où repartir pour continuer mon chemin ! Heureusement, un randonneur est là avec son chien, il connait bien les environs et m’indique la piste à suivre pour repartir vers là où je me dirige : Lough Tay.
Je quitte le micro-climat maléfique de Djouce, me retrouve sur un plateau à traverser des nuages qui se prennent pour des fumerolles volcaniques au milieu des tourbières marécageuses. C’est juste magique. Quelques kilomètres, et Lough Tay apparait. Aussi appelé « Lac Guinness« , pour la couleur de ses eaux et la plage artificielle d’une propriété sur ses berges ayant autrefois appartenu à la famille Guinness en question. Je m’arrêterai prendre mon lunch ici, contemplative, Sally Gap devant moi, à quelques kilomètres de là, et ce lac en contrebas, dans lequel reflète la face verticale d’une montagne qui y plonge et qu’on appelle Luggala. Ces grands espaces sauvages qui me remplissent de liberté.
Les derniers kilomètres à descendre à pied en suivant le Wicklow Way à travers des bois de pins ennuyeux seront laborieux. Heureusement, je franchirai la porte d’un pub à Roundwood, ligne d’arrivée réconfortante où feu de cheminée et une (deux ? Trois ?) Guinness me tiendront compagnie en attendant le bus de 16h45 pour Dublin, clôturant magnifiquement cette randonnée itinérante et nuit de bivouac au coeur du Parc National des Monts Wicklow. Un joli, un très joli cadeau de Noël.
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Merci Aurélie pour ce beau voyage que tu partage avec autant de passion et de courage!!
Passion oui, courage non. 😉 Merci.
Je ne dirais pas courage, mais une volonté de fer ! Etre en compagnie de soi-même, et pour finir de… je paris deux Guinness, il y a pire comme compagnie !
… »clôturant magnifiquement cette randonnée itinérante »
Pourquoi écrire randonnée… ITINERANTE?
Au fait, est-ce interdit de prendre des photos dans un pub? Avec les gens?
3 Guinness (j’avais un peu plus d’une heure d’attente 😉 ). On peut prendre des photos, bien sûr, même si évidemment on ne le fait pas quand on vit dans le pays car c’est un environnement normal, du quotidien (je ne vois pas de Français prendre des photos dans les bars de France par exemple). Quant à « randonnée itinérante », c’est le terme pour de l’itinérance à pied à travers des territoires plutôt sauvages, incluant de dormir en route et de continuer son parcours le jour suivant, en reprenant là où on s’était arrêter. 😉
Tu t’es offert un beau cadeau de Noël, et les coups de soleil, qui l’eût cru ?