Les Monts Wicklow, ou Wicklow Mountains, sont une petite chaîne de montagnes qui bordent le comté de Dublin. Elles font face à la Mer d’Irlande et malgré leur basse altitude (point culminant à 925 m), elles offrent des paysages sauvages et des vues incroyables. Aux portes de la capitale irlandaise. Elles forment d’ailleurs un parc national, le plus grand d’Irlande.
C’est là, dans ces Monts Wicklow, où j’ai commencé à randonner il y a des années, en arrivant à Dublin. Parce que je les voyais se profiler au loin, en regardant vers le Sud depuis les rues de la capitale, et que j’avais envie d’aller voir ce qu’elles avaient à offrir. Dès ma première visite, j’ai compris que c’était à pied que je profiterais au mieux de leur magnificence. Depuis, je les appelle « mon jardin », ces Wicklow Mountains que j’aime tant, qui me procurent toujours autant d’émotions, d’émerveillement, et pour lesquelles je retombe à chaque fois littéralement amoureuse. A chaque fois.
Ce n’est cependant pas d’une randonnée sur les sommets dont je viens vous parler aujourd’hui. Plutôt d’une découverte inattendue, d’une exploration d’un petit coin caché des Wicklow, hors sentiers et en forêt, découvert lors d’une balade dominicale qu’on m’avait annoncée comme « journée exploration et découverte » dans ces Monts Wicklow.
Ca vous tente ? Suivez-moi à travers les lignes et photos qui suivent ! 🙂
On avait pris le petit déjeuner à Hollywood. Je kiffe prendre mon petit déjeuner dans ce hameau avant d’aller m’aventurer dans les Wicklow… Juste pour le plaisir de dire que j’ai pris mon petit déjeuner à Hollywood (ça claque, n’est-ce pas ? 😉 ) ! D’autant plus que dans ce carrefour de la dernière halte avant de prendre de la hauteur par la route (il se situe déjà à 400 mètres d’altitude), on peut aussi apercevoir les 9 célèbres lettres blanches posées en haut d’une colline.
Quant à nous, si les nuages et le crachin se levaient, si l’envie était là, on irait peut-être faire la boucle des premiers lacs, trois au total, incluant le photogénique lac en forme de coeur, Lough Ouler. Mais ce matin là, c’était peu probable : le radar météo nous annonçait un ciel bouché pour la journée, éclaircies possibles en soirée. Ciel bouché en Irlande, cela signifie sommets dans la purée de pois et vent, rien d’agréable. Mais surtout, la motivation de notre petite troupe était celle d’un lendemain de soirée au pub. Alors, la promesse de notre chef scout du jour, « exploration et découverte » plutôt que « randonnée et dénivelés », nous allait très bien.
Notre guide pour la journée, un pote qui s’amusait toujours à trouver de nouvelles variantes de randonnées, nous avait donc proposer ce dimanche de nous balader plutôt que de randonner, avec quelques haltes à pied ici ou là. Il voulait notamment partager avec nous un coin qu’il avait découvert peu de temps auparavant. Il m’avait d’ailleurs dit, à moi en particulier :
– Je suis sûr que tu vas aimer !
Je suis relativement bon public à partir du moment où l’on me met en pleine nature, et en m’emmenant dans le parc national des Wicklow Mountains, peu importe l’endroit exact, il avait peu de chance de se tromper.
Nous avons donc roulé quelques kilomètres sur la R756 qui mène à Glendalough. Et c’est là, quelque part sur cette route entre Hollywood et Glendalough, que notre copain gara la voiture. Les conifères sur le bord de la route formaient une muraille de branchages qui ne laissait rien percevoir. Juste une piste envahie de hautes herbes qui s’emblait disparaître prématurément en s’enfonçant dans la forêt quelques dizaines de mètres plus loin. C’est pourtant sur cette piste que notre ami s’engagea, le reste de la troupe (3 paires de pieds) le suivant aveuglément.
– Ca va te plaire, Lily ! me répéta-t-il alors, le sourire aux lèvres, de ceux qu’on affiche lorsqu’on se réjouit de la surprise pensée depuis longtemps et qu’on s’apprête à dévoiler.
En fait, ça me plaisait déjà, éblouie que j’étais par la flamboyance du vert qui irriguait ma vue, de partout ! La piste réapparut soudainement, large comme pour accueillir un tracteur, aguicheuse, prometteuse, même si c’était encore ces conifères que je n’apprécie guère (moches et à but lucratif) qui nous entouraient.
Quelque chose d’inhabituel me séduit pourtant dans ce décor : de mystérieux murets en pierre recouverts de lichen, de chaque côté du vaste chemin. Une ancienne route abandonnée ?
Très vite, une barrière en bois délabrée nous invite à continuer notre chemin à travers les herbes qui se transforment vite en une forêt de fougères. Le sol semble s’enfoncer, les fougères deviennent denses et géantes, et les murets de pierre de chaque côté du chemin se métamorphosent en parois dépassant par endroit nos têtes. Serions-nous en train de rapetisser ?
Les instructions d’orientation sont simples : tout droit. J’ouvre la marche, en éclaireuse, mes trois compères du jour dans mon sillage, en file indienne.
– On se croirait dans Jurassik Park ! me lance l’un de mes potes aventuriers.
– J’ai plutôt l’impression d’être dans Indiana Jones ! Répliquai-je,
Ces murs de pierres qui nous guident m’intriguent. Recouverts de lichen et construits avec de grosses pierres rondes et polies, parfaitement enchevêtrées. Les plus grosses au sol, les plus légères en haut. Pas de mortier pour consolider la structure (comme il était coutume en Irlande), juste les lois de la physique, et la mousse qui lie désormais ces cailloux entre eux.
Deux magnifiques sorbiers (« rowan tree » ou « mountain ash » en anglais) et leurs grappes rouges poussent quasiment l’un en face l’autre de chaque côté du chemin, tel un portail que nous franchissons. Un premier signe, peut-être. Parce que cet arbre fait partie du folklore irlandais depuis toujours. On lui confère quelques pouvoirs, il est d’ailleurs symbole de protection selon les époques et le folklore local, mais peut aussi être lieu de rassemblement pour les Irish fairies, le peuple des créatures de l’autre monde.
Et puis, après quelques centaines de mètres à travers la folle végétation de ce mystérieux chemin cloisonné, sans avoir croisé ni tyrannosaure, ni tribu amazonienne non identifiée, ni quelque créature que ce soit, voilà que fougères et conifères cessent soudainement pour laisser place à un enclos à l’herbe rase mais épaisse. Le terrain rectangulaire est délimité par des murets en pierre, écroulés par endroit, de construction similaire à ceux qui nous ont menés jusque là. Dans l’enceinte de cette clôture, sur son côté gauche par le « chemin » d’accès, se trouvent deux ruines aux toits écroulés de ce qui fut peut-être autrefois basse-cour, étable, ou autres abris pour animaux.
Le lichen au vert fluorescent qui recouvre murets, ruines, éboulis au sol et arbres donne la touche finale à cette ambiance féérique, un décor figé dans le temps, dévoré, digéré, oublié.
Surtout, cette parcelle secrète semble protégée par le feuillage des quelques frênes et bouleaux qui ont envahi les lieux, la préservant même d’une éventuelle invasion spatiale, invisible depuis le ciel sous son dome de verdure.
Le frêne est l’arbre natif le plus commun d’Irlande. Dans le folklore irlandais, on lui attribue un pouvoir de protection, notamment contre les mauvaises entités féériques. Il était donc souvent planté près des habitations et abris pour animaux.
Dans cette parcelle abandonnée, deux arbres attirent immédiatement mon attention. Le premier n’a pas pu être planté pour protéger les lieux, car il pousse à l’intérieur même de l’une des deux ruines, celle qui se trouve immédiatement dans l’angle à gauche lorsqu’on arrive sur la parcelle. Il s’agit d’un bouleau, qui semble avoir pris (repris ?) possession de ce coin de l’enclos. Son tronc solide, tout comme la circonférence de la base de son branchage, indiquent un arbre vieux de quelques dizaines d’années déjà. Dans l’Irlande des temps anciens, le bouleau symbolise le renouveau. Je trouve celui-ci plutôt en adéquation avec sa symbolique.
L’autre arbre immanquable de cette parcelle est un frêne étonnant à l’envergure gigantesque, aux branches tentaculaires qui s’étirent horizontalement et dans un sens uniquement : parallèles au muret, comme pour atteindre aussi lentement qu’obstinément, chaque extrémité de l’enclos. Ce frêne remarquable pousse en limite extérieure du terrain et a même provoqué, nous disons-nous, il y a longtemps, un effondrement du mur contre lequel il s’appuie (en atteste l’épais manteau de mousse qui recouvre l’éboulis au pied du tronc). L’une de ses branches les plus basses semble transpercer le muret de sa force tranquille que rien arrête. Surprenant, cet être aux multiples bras articulés, dénués de feuillage, si ce n’est en leurs extrémités munies de fins doigts explorateurs aux ongles verts.
Abandonné, peut-être, pourtant le lieu me paraît habité. Hanté ? Non. Enchanté plutôt. Si les Irish fairies peuvent parfois être mal intentionnés, ceux qui demeurent sur cette parcelle que nous foulons sont bons et bienveillants. Une forte présence émane pourtant de l’enclos, surtout de ce frêne qui semble animé, en mouvement, parmi les autres arbres de la parcelle, plus jeunes, que ses branches atteignent. J’ai l’impression soudaine de me retrouver dans une salle de classe, en présence d’un professeur, et de ses élèves à qui il transmettrait ses connaissances.
– C’est incroyable, ce lieu !
Mon pote jubile.
– Je te l’avais dit ! Et attend, ce n’est pas fini !
Il nous fait ressortir de l’enclos par là où nous sommes arrivés, pour le contourner par le muret où pousse le frêne remarquable. Nous nous arrêtons, tous. Nous découvrons son autre face. L’arbre en question nous paraît désormais bel et bien vivant. Un visage d’arbre digne d’un conte fantastique, enchanté, vivant, apparaît devant nos yeux, et nous n’avons pas besoin de nous concerter pour l’apercevoir tant ses traits sont évidents : un front proéminent, deux yeux en amande, un gros nez type éléphant de mer, et des branches sur ses tempes comme des cornes. Et tout ce vert qui nous inonde ! Même la lumière du ciel est teintée d’émeraude ! J’ai vraiment l’impression désormais d’être entrée dans un autre monde. Je perçois tant de vie dans ces sous-bois, j’ai l’impression maintenant qu’on nous épie. Et c’est très fort.
La sensation se dissipe lorsque nous nous éloignons et laissons derrière nous le vieux frêne et ses compagnons. Une nouvelle surprise nous attend 200 mètres plus loin, lorsque le tunnel au vert intense nous mène vers une lumière blanchâtre, d’où un grondement familier se fait entendre. De sous-bois, nous arrivons sur les berges d’une rivière torrentielle aux eaux couleur Guinness. Si la marque affirme que la couleur de la célèbre bière brune provient de la torréfaction de l’orge à une température précise, moi, je sais bien que c’est de ces rivières des Monts Wicklow, dont l’eau est utilisée pour le brassage de ladite boisson, que la Guinness tire sa couleur, d’abord brune, puis noire intense.
Notre exploration dominicale continue avec le cours d’eau que nous suivons, même si nous nous éloignons de ses rives, un peu, pour retourner dans les bois à une centaine de mètres de l’eau. Là aussi, nous retrouvons la trace de murets en pierre éboulés et mangés par la mousse. Là aussi, tout semble si vivant derrière l’immobilité que témoignent nos yeux. Dans cette forêt, ce n’est pas avec la vue qu’on perçoit la vie. D’ailleurs, nous n’apercevrons pas un seul animal le temps de notre excursion dans ces bois. Même les oiseaux siffleurs resteront dissimulés derrière ce rideau vert qui nous éblouit.
Nous ralentissons, nous nous taisons bientôt, comme pour ne pas déranger ceux qui nous entourent. Entre les craquements délicats qui se répondent sous nos semelles, j’entends presque des voix, partout, autour de nous. Quant à mes yeux… Ici, une énorme pieuvre de lumière jaillit de la forêt. Là, c’est une géante mygale verte qui se dresse vers nous avec ses mandibules vertes et rousses. Une proie de la taille d’un renard est en train d’être digérée dans un cocon de lichen, lui-même suspendu à une potence de bouleau. A moins que ce ne soit une chrysalide géante d’une créature que la science n’aurait pas encore découverte…
Rapidement, le terrain se dégage et devient sablonneux.
– Ca ressemble au lit de la rivière en crue, lance notre copain-chef explorateur.
Il a sans doute raison. Cette large tranchée de sable qui avance parallèlement à la rivière est curieusement bordée par une rangée d’arbres formant une serre de branchages verts (ça sent la noisette par ici !). Une enfilade d’arbres noueux tous de même envergure, avec là aussi d’immenses branches folles qui poussent à l’horizontal, pointant toutes vers la même direction, celle du courant d’eau, forment un large tunnel végétal d’une centaine de mètres de long. Incroyable !
Je ne suis pas certaine de leur espèce (n’hésitez pas à partager vos connaissances arboricoles si vous reconnaissez l’espèce de cette fratrie d’arbres sur la photo ci-dessus), mais cette enfilade de géants verts nous a tous émerveillés, y compris notre ami qui nous y avait guidés, et qui avait pourtant déjà découvert le lieu quelques temps auparavant.
A la sortie du tunnel, nous nous retrouvons à nouveau sur les bords du torrent de Guinness. On s’amuse à saute-rocher. Pas un seul plouf de chaussures, dommage ! C’est toujours drôle… Surtout quand ça arrive aux copains ! 😉
C’était la destination finale de cette exploration dans ces bois des Wicklow Mountains. Chemin inverse sous les regards curieux et silencieux de tant d’êtres visibles et invisibles qui nous épiaient. Et pour ma part, avec la même sensation de vie qui grouillait aux abords de l’enclos du vieux frêne, que j’ai salué d’une respectueuse caresse sur son visage rugueux.
Nous avons rejoint la voiture, émerveillés, et quitté cette forêt enchantée pour prendre de l’altitude, cette fois-ci pour suivre en partie les traces de Saint Kevin, et continuer notre journée au sein des Monts Wicklow, dans ce petit bout d’Irlande que j’aime tant.
Cette balade en forêt irlandaise vous a plu ? Vous aimerez aussi celle-ci, cette fois-ci autour du site de Glendalough, toujours dans les Monts Wicklow.
Si l’envie de me suivre dans mes vadrouilles, randos et explorations irlandaises vous tente, je vous invite à me rejoindre sur mon compte Instagram @racontemoilirlande, où je partage plusieurs fois par semaine mes pérégrinations et mon regard sur toute l’île d’Irlande… Irlande qui continue à me surprendre et m’enchanter malgré les années ! 😉
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Beau récit et magnifiques photos, j’avais aussi apprécié cette région en 2014 bravo Aurélie
Merci Alain. 🙂
Merci pour cette fantastique randonnee fantastique !
Partagée avec plaisir. 🙂
Bonjour Aurélie, je pars bientôt pour un court séjour de 10 jours en Irlande, vous m’avez donné envie de faire votre ballade. J’ai 2 korrigans avec moi (mon mari et ma fille 🙂 qui apprécieraient +++
Vos korrigans risquent de se transformer en leprechauns sous nos contrées… 🙂 Bon séjour en terre d’Irlande !