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[Portrait] Derek, guide dans le comté de Mayo

Derek Davidson guide Walk West Ireland

Pour écrire cet article, il m’a fallu me replonger dans des heures d’enregistrement. Des heures passées en compagnie de Derek, qui m’a promenée toute une journée sur Achill Island, la Magnifique, dans le comté de Mayo. Et toute la journée alors, je l’ai écouté me parler de lui, un peu, et du comté de Mayo, beaucoup, dont il est éperdument amoureux. Alors vous comprenez bien que lorsque je dis « il m’a fallu », je n’ai pas eu besoin de me forcer beaucoup pour les écouter, ces heures d’enregistrement ! 😉

Carte comté Mayo Irlande

Derek est guide, pour le comté de Mayo, exclusivement. En fait, ça fait des années que je le suis sur les réseaux sociaux, et on communiquait de temps en temps, en privé, mais on ne s’était jamais rencontré. Quand je me suis lancée dans ce projet de Tour d’Irlande en interviews, il a fait partie des quelques-uns que j’avais en tête dès le début pour représenter leur comté. En fait, dans ce projet, je veux expressément limiter le nombre de personnes travaillant directement dans le tourisme. Mais lui, Derek Davidson, de Walk West Ireland, je voulais vraiment le rencontrer, et entendre ce qu’il avait à partager.

Quand il a accepté que je l’interviewe, je m’étais imaginée qu’on irait prendre un thé, ou déjeuner quelque part, et que je lui poserais mes questions, vous voyez. Eh bien, pas du tout ! Le jour où il a accepté, vous savez ce qu’il m’a proposé ?

Achill Island est vraiment époustouflante. Si t’as le temps et si la météo est avec nous, je t’y emmène, et on ira randonner.

Vous m’imaginez en train de sauter au plafond en recevant cette proposition ? Oui, oui ! Vous pouvez (mon chat s’en souvient encore 😉) ! Et ajoutez-y un grand sourire sur mon visage, qui y resta jusqu’à la fin de la journée ! 😉

J’ai donc passé une journée entière avec Derek, et cet article lui est dédié. Je vous conterai alors nos pérégrinations sur Achill Island et les histoires qu’il m’a contées dans cet autre article 😉. Aujourd’hui, je vais me concentrer à mettre la lumière sur Derek, qui est donc la personne que j’ai interviewée pour le comté de Mayo, dans le cadre de mon projet d’interviews de 32 Irlandais de 32 comtés différents (en 320 jours, si tout va bien 😉).

Je crois que je suis bien tombée avec Derek. Amoureux du comté de Mayo jusqu’au bout des ongles, il y dédie d’ailleurs son activité professionnelle : il y guide de petits groupes et se concentre uniquement sur ce comté à la beauté sauvage de l’Ouest de l’Irlande.

– Est-ce que tu emmènes les touristes ailleurs, le long du Wild Atlantic Way, dans le Donegal, où plus au sud, jusqu’au Kerry par exemple ?

– Oh non ! Je reste ici, il y a déjà tellement à faire dans le comté de Mayo ! Et tellement d’Histoire cachée !

Cela fait 20 ans qu’il est guide ici.

– Le meilleur métier du monde ! Me lancera-t-il une fois.

Il est aussi guide de montagne et de randonnée certifié, et pendant longtemps, il a emmené beaucoup de touristes, notamment allemands, randonner dans les montagnes peu fréquentées du comté de Mayo. Aujourd’hui, il se concentre davantage sur les tours guidés de petits groupes (jusqu’à 6 personnes), et ses principaux clients sont américains. Il ponctue bien sûr ses tours de petites balades, en haut des monts du comté de Mayo, mais qui nécessitent peu de marche.

Derek n’est pourtant pas originaire de Mayo, et son accent le trahit d’ailleurs. Un accent très… Anglais !

– Mais je suis Irlandais ! se défend-il.

… Et il n’aime pas vraiment qu’on lui dise qu’il n’est pas Irlandais. Ce que je comprends vite, quand il me raconte l’histoire de sa famille !

Guide comté de Mayo Irlande

Son père est né à Clontarf, un quartier côtier du nord de Dublin. Son arrière-grand-père était le principal de Bolton Street Technical College, un établissement qui existe toujours de nos jours. L’histoire de sa famille, c’est en la recherchant lui-même qui l’a découverte. Un héritage qu’il ne soupçonnait absolument pas.

– J’ai fait des recherches, parce que personne dans la famille ne savait tout ça. Je me suis déplacé. Et j’ai découvert que la fille de mon arrière-grand-père, la sœur de mon grand-père, avait été sénatrice au parlement irlandais ! Et quand j’ai dit ça à mon père, il m’a répondu « je m’en fiche bien de ce qu’ils faisaient ! Au final, tout leur argent a disparu ! »

Effectivement, Derek a lui aussi été surpris de découvrir que ses ancêtres fussent des gens assez riches pour l’époque… Mais ils ont tout légué à l’Eglise, plutôt qu’à leur descendance !

Son père quant à lui a déménagé à Wexford, au sud-est de l’Irlande, quand il avait 9 ans. C’était en 1939, au début de la seconde guerre mondiale. Derek n’en est pas certain, mais il se demande si ce n’était donc pas la raison de ce déménagement, car même si l’Irlande était neutre, elle avait été bombardée par accident.

Derek est né et a grandi en Angleterre, où il y a vécu une bonne partie de sa vie. Enfant, il était scolarisé dans une école catholique, à Londres.

– Je vais te dire une chose, c’était super dur ! Quand j’étais enfant, Londres subissait des attaques terroristes, des bombes sautaient tous les jours avec l’IRA parce que le gouvernement britannique refusait de leur parler. Les gares, les ponts, ça sautait sans arrêt, partout ! On scellait les boites aux lettres pour ne pas qu’on mette de bombes dedans…

Mais l’appel de la terre de ses ancêtres a toujours été là, et il a toujours su qu’un jour il viendrait vivre en Irlande. En l’écoutant parler tout au long de la journée, j’ai eu l’impression qu’il faisait partie de ceux qui avaient quelques vies en une seule ! A la tête d’une entreprise d’ingénierie aéronautique qu’il avait fondée avec sa femme à Londres, il a vendu son affaire pour réaliser ce qu’il appelle sa « Grande Evasion ».

– Je me suis échappé de Londres il y a plus de 20 ans, j’ai fui la pollution, le crime, la circulation, et je suis venu ici pour une vie meilleure. A Londres, j’existais. C’est seulement en venant en Irlande que j’ai commencé à vivre.

Une citation d’un auteur irlandais, Oscar Wilde, me vient alors en tête : « Vivre est ce qu’il y a de plus rare dans le monde. La plupart des gens se contentent d’exister. »

Derek, sa femme, et les plus jeunes de ses enfants vivent au pied du Mont Nephin, une montagne « autonome » du comté de Mayo, c’est-à-dire qu’elle ne fait partie d’aucune chaîne de montagnes, c’est un mont seul, isolé dans le paysage (un peu comme le Mont Fuji au Japon 😉). C’est la plus haute d’Irlande.

– En Irlande, tout est le plus haut, le plus vieux, le plus long, le plus grand… plaisantera-t-il. Ça fait partie de la poésie locale !

S’il s’est installé pour de bon dans le comté de Mayo il y a une vingtaine d’années, Derek le connaissait en réalité depuis longtemps. Pendant des années, avec sa femme, ils passaient leurs vacances à explorer l’Irlande.

– Pourquoi Mayo, plus qu’ailleurs ? m’enquerrai-je donc.

– On est allé partout, dans le sud, le Kerry, tout ça… Mais on n’a rien trouvé d’équivalent à la beauté sauvage et reculée de Mayo, avec autant d’histoire aussi ! On en est tombé amoureux !

Ce qui l’a aussi attiré, c’est que le territoire était vierge et peu fréquenté par les touristes. Aujourd’hui encore d’ailleurs, quand il regarde la carte de route des touristes qui ne prennent pas le temps de passer par Mayo, il leur dit :

– Dommage ! Vous loupez le meilleur de l’Irlande !

Je l’écoutais, et alors qu’on se baladait sur cette île somptueuse et que je l’écoutais me parler de cette région, je ne pouvais pas lui en vouloir, d’utiliser lui aussi des superlatifs pour parler de cette terre qu’il aime tant.

Quand je lui demande comment il a été accepté quand il est arrivé dans le comté de Mayo, en arrivant d’Angleterre, avec son accent anglais, et ce même s’il a des connexions irlandaises, il sourit.

– Je pense que parce qu’on était impliqué avec nos enfants dans la vie de la communauté, ça s’est bien passé. En Angleterre, j’étais aussi impliqué dans la vie de l’église, et j’ai continué ici. Mais c’est seulement très récemment que le prêtre de ma paroisse est venu me voir pour me demander si je voulais bien être de ceux qui donnent la communion (ndlr – « eucharistic minister » en Anglais). Et j’ai été super honoré !

Amoureux des grands espaces, ce qu’il aime ici, c’est que ce soit peu fréquenté par les randonneurs.

– Dans le Lake District en Angleterre, c’est tellement bondé de monde que ça m’est arrivé de tomber sur mes voisins londoniens ! Au moins ici, il n’y a personne ! Ça m’est même arrivé ici d’aller randonner et de bivouaquer avec ma tente, et de ne croiser personne pendant 4 jours !

Guide de randonnée Irlande

Il vient sur Achill Island dès qu’il le peut, par tous les temps. D’ailleurs, il poste régulièrement photos et vidéos sur sa page Facebook, celles-ci sont parfois reprises par RTE, la chaîne télé nationale. Il est passé quelque fois sur Nationwide également, un programme télévisé très populaire qui fait découvrir les gens et lieux de l’île.

– Une fois, pour un reportage de RTE, ils sont venus en novembre. Je leur avais dit que ce n’était pas la meilleure période de l’année pour aller filmer et randonner en haut des monts sur Achill Island, mais ils n’avaient pas le choix du calendrier. On s’est retrouvé là-haut avec de la neige, mais ils ont eu de belles images !

Quant à son métier de guide, il le fait avec intégrité comme il dit, et c’est pour cela qu’il ne parle pas de mythologie, parce qu’il ne peut pas vérifier ces histoires. D’une extrême curiosité, passionné par l’histoire du comté de Mayo, il a passé des jours de sa vie à investiguer, rechercher dans les archives, lire, mais aussi se déplacer partout, pour explorer, constater par lui-même, et accéder à certains lieux, parfois sur des terrains privés, juste par curiosité.

Quand des amis lui rendent visite depuis l’Angleterre, ils s’étonnent des connaissances de Derek, ils le taquinent en disant qu’il invente tout, que ce n’est pas possible d’en connaître autant sur une région. Il a fait la formation pour être guide certifié en Irlande, bien sûr, mais il est allé plus loin.

– C’est important de dire la vérité aux gens. Les gens doivent savoir. L’histoire de l’Irlande est tragique. La Famine par exemple… Un million et demi de personnes sont mortes de faim sur cette île. Mais il n’y a jamais eu de manque de nourriture, ce n’est pas vrai ! Ce qui s’est passé, c’est que tout était exporté, y compris le meilleur bétail qui partait vers l’Angleterre. C’était l’Empire britannique, c’est ce qu’ils faisaient…

En Irlande, beaucoup d’histoire et de bribes d’histoire se trouvent sur des propriétés privées. Alors c’est seulement en demandant aux propriétaires que Derek peut y avoir accès pour mener ses recherches et investigations, et assouvir sa soif de connaissances. C’est ainsi, par exemple, qu’il a eu accès aux restes d’une ancienne tour circulaire qui se trouvait dans le jardin d’un homme.

– Mais comment t’as pu y aller ? Tu t’es introduit par effraction ou quoi ? C’est l’homme le plus fermé de la planète ! s’en était étonné un ami.

– C’est juste la manière dont tu approches les gens. Avec passion, et de manière sincère. Personne ne m’a jamais refusé accès à quoi que ce soit.

Il en est de même pour traverser les terres, pour randonner et y emmener des groupes, avec les droits de passage.

– A Mayo, ça fait 20 ans que j’emmène des groupes, pour randonner, et on traverse des terres qui sont privées, parce qu’elles le sont toutes par ici. Et je n’ai jamais eu un seul problème.

Parmi toutes, il me raconte entre autres cette anecdote sur le sujet :

– Il y avait cet homme, qui vivait sur son île. Et on voulait y aller, avec mes enfants, et des groupes. Il avait mis des pancartes sur l’ile « accès formellement interdit », « ne pas passer », « interdiction de ceci ou de cela »… Un jour, j’ai glissé un paquet de biscuits dans mon sac à dos. J’y suis allé, j’ai frappé à sa porte. On a discuté, et j’ai laissé le paquet de biscuits pour ses enfants. Et après, pendant des années, à chaque fois que j’y allais, j’apportais des friandises pour les enfants. Et je n’ai jamais eu aucun problème pour accéder à cette île !… Tu sais, ici, c’est pas juste les paysages et le temps. C’est une combinaison avec les gens, l’Histoire, l’état d’esprit.

Je constatais effectivement, au fil de la journée passée en sa compagnie, les connaissances que Derek me partageait avec entrain, sans retenue, avec une bonne dose d’auto-dérision également.

– Ma femme me dit parfois que je suis capable de me souvenir de tout ce qui concerne l’histoire de l’Ouest de l’Irlande, et de Mayo, mais que des fois, je ne me souviens même pas de l’anniversaire de mes enfants ! Par contre, je n’ai toujours pas compris le sens du mot humilité… Il y a une blague autour de moi par ici. Les gens disent « si Derek ne le sait pas, c’est que ça n’est jamais arrivé dans le Mayo, ou que ça n’existe pas ! »

Paysage Achill Island Irlande

A l’écouter toute cette journée, un vent de liberté souffle dans les mots de Derek.

– Je n’aime pas qu’on me dise que j’ai de la chance d’avoir la vie que j’ai. J’ai beaucoup travaillé, et j’ai fait des choix. Rien n’arrive par hasard ! Comme je dis, si tu fais quelque chose, il se passera peut-être quelque chose. Mais si tu ne fais rien, il ne se passera rien, ça, c’est certain !

C’est à moto qu’il a toujours aimé arpenter les routes de Mayo, et d’Achill Island, longtemps avant que certaines ne soient goudronnées d’ailleurs.

Son esprit d’aventure et son amour des grands espaces l’ont d’ailleurs mené, en 2016 et avec son fils alors tout juste majeur, au camp de base de l’Everest, dans l’Himalaya. Une expérience de 4 semaines, inoubliable, à laquelle il repense encore quotidiennement, avec toujours autant d’intensité.

– Ici, ce n’est peut-être pas très haut en altitude, mais il faut vraiment prendre les montagnes de Mayo au sérieux ! Les conditions météo peuvent changer en un claquement de doigt, il n’y a aucun abri quand tu es là-haut, et tu peux vite te retrouver complètement désorienté et en hypothermie !

Je vous promets qu’il a dû m’en raconter une bonne dizaine, distillées au fur et à mesure de la journée, des histoires de gens perdus, de secours, de nuits passées dans le froid, et d’autres dans le genre… tout ça dans le comté de Mayo, dont beaucoup sur Achill Island !

L’été dernier, il est allé en vacances dans le comté de Donegal. Le temps était misérable m’a-t-il dit, c’est peut-être pour ça qu’il n’a pas été très impressionné par ce comté pourtant si beau :

– C’est très beau le Donegal, c’est certain, et si je trouvais qu’ici, dans le comté de Mayo, nos routes étaient étroites, là-bas, c’est encore pire ! Mais le problème dans le Donegal, c’est que j’ai trouvé que tout était très loin de tout. Il faut beaucoup de temps pour aller d’un endroit à un autre, les plages sont très cachées. Ici, c’est beaucoup plus accessible.

Mouton Achill Island Irlande

Si Derek aime le comté de Mayo, il aime aussi les gens. C’est ce qu’il aime aussi dans son métier, l’échange avec les gens, le partage.

– Quand t’es guide, les gens se confient, parce qu’ils passent du temps avec toi, mais que tu n’as aucun lien avec eux, aucune attache. Ce que j’aime, c’est qu’ils me parlent aussi de chez eux, de leurs pays. Ça m’aide à mieux comprendre le monde. Par exemple, les touristes américains, ils me parlent de leur président, Trump. Ici, dans les médias, on en dit que du mal. Mais il fait aussi des choses de bien, pour l’emploi là-bas, et ça, on n’en entend jamais parler chez nous.

D’ailleurs, durant la journée, il parlera à plusieurs inconnus croisés, en s’assurant à chaque fois de leur donner une carte de visite, ce qui me faisait extrêmement rire !

– Ça rend ma femme folle ! J’en donne même lors de funérailles… si elle ne me regarde pas !

Voilà, j’ai essayé d’être fidèle à la personnalité de Derek, et de vous avoir fait passer à la fois un peu de sa personne, et de sa passion pour Mayo.

Vous vous en doutez, j’ai adoré passer la journée en sa compagnie, une journée pleine de bonne humeur, de partage, et de passion pour l’Irlande ! Je vous raconte cette journée plus en détails dans un prochain article de vadrouille, d’ici là, faites comme Derek : partagez, et commentez ! 😉

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